Un jeune pape ébranle le Vatican
Lorsque l’on s’intéresse à une figure aussi marquante que le pape, pas besoin d’avoir fait son catéchisme. Le scénario ne dépasse toutefois pas beaucoup les murs du Vatican. Un bémol pour Serge Molla, théologien passionné de cinéma et pasteur vaudois : «Je trouve dommage de ne pas avoir profité de cette série pour aborder certaines problématiques de notre temps comme la question de l’argent.» Avec ses constants rebondissements, la série permet tout de même d’amener le spectateur à s’interroger sur son propre rapport à la religion. La question de l’influence que peut avoir un seul homme a aujourd’hui une forte actualité, notamment suite aux élections américaines. Pour Serge Molla, il est également important de souligner que le pape de cette série (Pie XIII) est l’antithèse du pape actuel. Alors que le pape François fait preuve d’une grande compassion envers son prochain, le nouveau pape ne se soucie guère des autres. Lors de sa première homélie, il accuse les fidèles d’avoir oublié Dieu. Son discours déçoit les attentes des fidèles qui délaissent la place Saint-Pierre.
Une radicalisation assumée
En élisant Lenny Belardo (Jude Law), les cardinaux les plus influents pensaient avoir un jeune pape facile à manipuler. Sa nomination devait permettre de donner une image ouverte et dynamique à l’Eglise. Trop occupés par leurs jeux politiques, ils ont oublié qu’ils ne savaient presque rien de lui et de ses positions. Pour le pasteur vaudois, la question de l’âge est intéressante: «On entend souvent dire qu’un pape plus jeune serait une bonne chose, qu’il comprendrait mieux la réalité des gens. Ce n’est clairement pas le cas dans cette série qui reflète aussi une certaine tendance au radicalisme des jeunes au sein du catholicisme.»
Bien que le scénario force le trait de la radicalisation, cette tendance est propre à notre époque, souligne Serge Molla. De nombreux courants tentent de réafirmer des repères dans une société que l’on peut qualifier de «liquide». Introduite par le sociologue polonais Zygmunt Bauman, cette notion souligne que les institutions ne peuvent plus servir de cadre aux individus. Un phénomène qui ne manque pas d’engendrer une certaine forme d’insécurité.
Cultiver le mystère
Pie XIII renvoie sa conseillère en communication à ses études lorsqu’elle lui présente sa stratégie. Il ne veut pas voir son visage apparaître sur cartes et autres produits dérivés destinés aux fidèles. Le pape de cette série retient son image. Il fait sa première apparition dans la pénombre et reste inaccessible au monde. Une attitude qu’il justifie en se référant à plusieurs figures marquantes qui ont cultivé l’art de la discrétion telles que l’écrivain J. D. Salinger ou encore le groupe de musique Daft Punk. «C’est une manière de critiquer le pouvoir excessif de l’image dans notre société. La question est de savoir au bénéfice de quoi ? Est-ce pour valoriser l’image de Dieu, sa propre image ou la parole, et laquelle?», interpelle Serge Molla. Une interrogation laissée à la libre interprétation du spectateur qui doit se forger sa propre opinion tout au long des épisodes. Cette stratégie de l’absence sera appliquée par le souverain pontife jusqu’à la fin de la série. Il a besoin que le monde s’interroge. Il veut rendre Dieu inaccessible.
Décalage constants
Alors que l’on pourrait croire le décor posé, le scénario ne cesse de surprendre. Pie XIII se révèle beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît: «Il ne va jamais là où on l’attend», ajoute Serge Molla. Par exemple, sa façon toute particulière de gérer une affaire de pédophilie ou d’aborder la question de l’homosexualité. Le pape doute carrément de l’existence de Dieu. Le spectateur n’arrive pourtant pas à savoir si c’est effectivement le cas ou si cette révélation est destinée à influencer son entourage. Car Pie XIII est un fin stratège. Il semble avoir planifié une bonne partie de son pontificat et ne le dévoile que par bribes. Paradoxalement, il se laisse également influencer par une puissance qui le dépasse. Dès sa nomination, les cardinaux se posent la question de savoir si son élection est due à l’œuvre de l’Esprit. Au fil des épisodes, le pape se rapproche de plus en plus de la figure d’un saint assez éloignée de l’idée que l’on pourrait s’en faire: «Est-ce qu’un saint est une personne qui a toutes les qualités?», questionne Serge Molla.
Seconds rôles percutants
Au-delà de la figure du pape, les personnages secondaires jouent un rôle primordial. Le défi consiste à représenter l’intériorité. «Cela ne passe pas forcément par Jude Law qui reste difficile à cerner», observe le théologien. Parmi les nombreux seconds rôles, celui de sœur Marie (Diane Keaton) est l’un des plus importants. Sorte de mère de substitution qui a accueilli le jeune Lenny à l’orphelinat, elle l’accompagne dans la prise de ses fonctions. «Même dans ses silences, il est facile de percevoir ce qu’elle pense», admire Serge Molla. Le personnage du cardinal Voiello (Silvio Orlando) occupe également une place importante. Tout comme le spectateur, il se remet constamment en question et change souvent son fusil d’épaule. La série comprend aussi un certain nombre de scènes oniriques qui emmènent le spectateur dans une autre dimension. Un humour décalé et quelques scènes absurdes ne manqueront pas de faire sourire, dont la tenue décontractée de sœur Marie sur laquelle figure l’imprimé: «Je suis vierge, mais ceci est un vieux T-Shirt».