Nicée, un moment fondateur
Entre le premier et le quatrième siècle, divers courants parcourent le christianisme. Les liens entre Père, Fils, Saint-Esprit – évoqués dans les Evangiles, mais non encore explicités – font débat. Dans ce foisonnement, une idée se répand comme une traînée de poudre: celle que ces trois figures ne relèvent pas tout à fait du même plan. Elle découle entre autres des écrits d’un prêtre, Arius. Il estime, pour simplifier, que le Christ est bien une divinité, mais inférieure au Père ou «dérivée» puisqu’il est engendré par lui.
L’enjeu est important dans un Empire encore païen où une série de religions rivalisent. Si Jésus n’est pas vraiment Dieu, qu’est-ce qui le différencie des autres hommes? Est-il véritablement à même d’offrir le salut? De nombreux nouveaux convertis adoptent le christianisme sous sa forme arienne, particulièrement répandue dans certaines régions. La crise arienne devient majeure.
Une réunion très politique
Au même moment, l’empereur Constantin, tout juste vainqueur de son rival Licinius, est en quête d’unité: les persécutions contre les chrétiens viennent de cesser (en l’an 313), il cherche à asseoir sa légitimité, à faire disparaître la discorde dans l’Empire. C’est lui qui convoque le concile de Nicée. Et ce chrétien converti use de tout son pouvoir pour résoudre la querelle: il met à disposition le service de poste de l’Empire pour faciliter le voyage des ecclésiastiques, accueille les discussions dans son propre palais, offre un banquet pour célébrer les 20 ans de son règne «dans ce qui constitue une transition de la romanité vers la chrétienté», pointe la chercheuse Claire Fauchon-Claudon, maîtresse de conférences en histoire romaine (ENS Lyon).
Le rôle de Constantin au cours des débats – arbitre ou promoteur d’une des solutions – fait toujours débat. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été central. Sans l’empereur, le concile n’aurait pas eu lieu et la quasi-unanimité obtenue au terme des débats non plus: les évêques récalcitrants seront en effet envoyés en exil… A Nicée, c’est donc un certain type de rapport de l’Eglise au pouvoir temporel qui prend forme – et qui marquera l’histoire du christianisme.
Un emprunt fécond
L’autre innovation de Nicée, c’est l’usage d’un langage théologique nouveau. Pour résoudre leur problème et dire les liens si particuliers entre Père, Fils et Saint-Esprit, les évêques chrétiens font appel à des concepts de la philosophie grecque, utilisés à l’origine par leurs adversaires intellectuels. Le Père et le Fils sont ainsi dits «homoousios», de la même substance, ou ousia. Cette rencontre avec la philosophie grecque a déjà eu lieu dans la culture chrétienne, mais ici, le monothéisme chrétien se «déploie» et développe sa spécificité dans cette langue, comme l’explique le théologien jésuite Michel Fédou.
Dialogue et exclusion
Michel Fédou rappelle que cet emprunt au lexique d’un adversaire ne va pas de soi: «Il faudra beaucoup de temps pour expliquer le concept d’ousia (…), ce qui va pousser les théologiens dans leurs retranchements pour approfondir l’intelligibilité de la foi qu’ils professent.» En effet, après Nicée s’ouvrira une seconde phase, féconde, de discussions et de réceptions «libre et active par l’ensemble du peuple de Dieu», pointe Julija Naett Vidovic, théologienne à l’Institut parisien Saint-Serge. Elle débouchera sur le concile de Constantinople-I (en l’an 381) et sa définition renouvelée de la foi, le credo de Nicée-Constantinople, toujours valable aujourd’hui.
Mais Nicée marque aussi l’exclusion des évêques ayant adhéré à la pensée arienne. Et le début de la construction d’une orthodoxie qui relira, a posteriori, certains courants initiaux du christianisme comme… des hérésies.
Sources
Colloque œcuménique «Célébrer le concile de Nicée?», recherches interdisciplinaires sur l’unité et le dialogue entre théologie et cultures, Université catholique de Lyon, janvier 2025