«Accepter les femmes prêtres, c’est accepter la fin du célibat»

Les femmes prêtres sont là. Photo du tournage. / Clin d'œil Films
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Les femmes prêtres sont là. Photo du tournage.
Clin d'œil Films

«Accepter les femmes prêtres, c’est accepter la fin du célibat»

INTERVIEW
Dans un documentaire diffusé ce mercredi sur RTS1 (à 22h40), la réalisatrice Marie Mandy interroge un tabou dans l’Église catholique romaine.

Marie Mandy

Réalisatrice du documentaire Femmes prêtres, vocations interdites

Pourquoi souhaitiez-vous réaliser ce film ?

MARIE MANDY Ma motivation initiale vient de ma découverte, en 2006, de l’existence de femmes prêtres ordonnées sur le Danube en présence d’un huissier: cette histoire m’a paru à la fois romanesque et transgressive. Je suis entrée en contact avec la fondatrice du mouvement, Christine Mayr-Lumetzberger, qui était d’accord de participer à un film. Au fil de mes recherches, la question de la vocation empêchée de ces femmes m’a frappée. J’ai été élevée dans la religion catholique. Je ne suis pas croyante, mais cette question m’a interpellée. Elle me paraît presque spirituelle: comment faire pour que chacun se réalise dans sa vie? C’est devenu le moteur du film. En plus, sans doute aussi, de mon indignation face à une Église à laquelle je ne pouvais plus m’identifier: toute mon enfance les messes ont été célébrées par les hommes, les prises de position de l’institution sur l’avortement, l’homosexualité… n’ont pas arrêté de me choquer. Pourquoi des hommes en robe devraient-ils décider de questions qui concernent les femmes?

RÉSUMÉ Qu’est-ce qui bloque l’ordination des femmes prêtres? Pour mener l’enquête, la réalisatrice Marie Mandy suit trois figures marquantes dont la théologienne et journaliste zurichoise Jacqueline Straub (rédactrice en chef du site alémanique Kath-net.ch), qui souhaite devenir prêtre, écrit sur le sujet et interroge face caméra trois cardinaux du Vatican. Christina Moreira, prêtre franco-espagnole, ordonnée dans la lignée des « ordinations clandestines » du Danube organisées depuis 2002, exerce son sacerdoce en Espagne. On découvre dans son sillage qu’il existe près de 300 femmes prêtres à travers le monde, malgré l’excommunication encourue! Enfin, aux États-Unis, la prêtre afro-américaine Myra Brown, à la tête d’une paroisse de 1500 fidèles, nous confronte à une réalité surprenante: l’Église catholique romaine, déconnectée des réalités de son temps, se retrouve par endroit tout simplement supplantée par des communautés progressistes. L’ensemble de cette recherche formidablement bien tissée mêle innovations sociétales et prises de paroles vaticanes — soufflant le chaud et le froid, mais montrant une prise de conscience du sujet.

Femmes prêtres, vocations interdites, documentaire de Marie Mandy, 78 min, 2024, à retrouver le 12 mars sur RTS1, le 12 avril sur Arte et le 18 mai sur SRF (en allemand).

Quels blocages avez-vous dû affronter? Lors d’une scène marquante, votre équipe est arrêtée en compagnie d’une femme en tenue sacerdotale sur la place Saint-Pierre et emmenée au poste…

Les obstacles ont été de deux ordres. D’abord, persuader des producteurs et des diffuseurs de financer le projet m’a demandé un mal fou. Entre 2006 et 2020, on me rétorquait que ce sujet représentait un épiphénomène, un film de niche, ou bien qu’il fallait aussi y intégrer des femmes rabbins. Finalement, Arte, la télévision belge (RTBF), la RTS et la télévision publique canadienne ont accepté de coproduire le film.

Puis, il a fallu rentrer au Vatican, ce qui était très compliqué puisque le sujet était a priori interdit dans l’Église dès le moment où Jean-Paul II avait acté de l’interdiction définitive d’ordonner des femmes, considérée comme irrévocable. 

Pour aborder cette question «interdite», je tenais à avoir la parole de cardinaux proches du pape et légitimes sur le sujet — et nous y sommes parvenues. Mais je suis passée par quantités d’intermédiaires, de relais, de journalistes pour obtenir les bons contacts, entrer en lien avec les bonnes personnes. Je ne pouvais pas dire que je faisais un film sur la prêtrise des femmes. Nous devions envoyer nos questions à l’avance — et tout l’enjeu était de savoir à quel moment nous pouvions nous démasquer! C’est la première fois que j’opérais ainsi et j’ai été pas mal humiliée. J’ai dû faire face à du chantage, certains interlocuteurs ont tenté de me culpabiliser, etc. J’ai réalisé que c’est un système entier qui se protège. Je pense que j’ai tenu bon parce que je ne suis pas croyante. Quelqu’un de catholique n’aurait peut-être pas osé résister, car les méthodes auxquelles nous avons fait face sont vraiment rudes — comme le montre la scène de l’arrestation.

 

Vous faites aussi le choix de donner la parole à des théologiennes féministes américaines…

Aux USA, il existe une liberté de parole qui fait qu’elles sont plus librement féministes qu’en France: elles peuvent se permettre de critiquer l’Église tout en conservant leur poste dans une institution catholique. Les théologiennes françaises ne peuvent pas ouvertement remettre en question la doctrine: elles le font de manière détournée. Les Américaines disent clairement qu’ordonner les femmes c’est démanteler le sexisme dans ce qui constitue le dernier grand patriarcat encore en place sur la planète, un entre-soi masculin, un monde d’hommes célibataires qui n’ont aucune connexion avec les femmes.

 

Justement, le chercheur et sociologue Josselin Tricou parle de «verrou sacerdotal» pour montrer dans l’Église le lien entre la prêtrise — qui interdit la sexualité masculine —, l’exclusion des femmes du pouvoir et le discours hétéroconjugal. Après votre enquête, voyez-vous aussi un lien entre ces trois éléments?

Oui, je pense en effet que c’est un «package.» Il existe déjà 300 femmes prêtres, 20 femmes évêques, toutes mariées, mères voire grand-mères et qui exercent très bien leur métier. Si l’Église les incluait, comment ferait-elle face à des hommes sans enfants? Accepter les femmes prêtres c’est accepter la fin du célibat. Comme ces femmes opèrent toutes au sein de communautés inclusives (elles marient des couples homosexuels par exemple), elles vont aussi à l’encontre de l’idée catholique fondatrice de la complémentarité des sexes — qui voudrait que seuls des hommes et femmes hétérosexuels puissent fonder une famille.

L’Église leur répond avec des arguments obsolètes: aucune femme n’a été ordonnée depuis 2000 ans (l’argument de la tradition), les apôtres sont tous des hommes (l’argument historique — contesté puisque Marie Madeleine est reconnue comme apôtre des apôtres) et le prêtre «in persona Christi», doit pouvoir incarner le Christ, donc être de sexe masculin (l’argument de genre). On en revient à ce même constat: un patriarcat qui verrouille tout.

Vous avez mis neuf ans pour réaliser ce film. Les lignes ont bougé entre-temps. Quel horizon concevez-vous sur ce sujet ?

Sur le plan bureaucratique, il est vrai que le Vatican a beaucoup bougé. Le mois dernier, une femme a encore été nommée préfète. Mais si l’on donne aux femmes des postes de responsabilité importants, l’accès au sacré leur est toujours interdit pour des questions de pouvoir et je ne crois pas que cela va changer. J’ai cru au début de la papauté de François que cela évoluerait, mais la Curie se tient derrière lui pour bloquer toute évolution. C’est difficile de savoir si c’est lui ou son entourage. On peut espérer un prochain pape plus progressiste — François ayant remplacé tout le collège des cardinaux en fonction de sa ligne idéologique. Mais je crois à l’inverse que le suivant sera plus conservateur. Tout dépendra aussi de la manière dont le souverain pontife actuel négociera sa fin de règne: démission ou non. Dans tous les cas, il y aura bataille pour sa succession.

 

Comment votre film est-il reçu ?

Aux USA et en Europe, le Vatican n’a pas la même place. En Europe, l’Église reste une autorité morale, le pape est un chef d’État et un chef spirituel. Mais les discussions après les projections soulèvent d’autres enjeux: derrière les questions spirituelles et doctrinales se retrouvent des enjeux financiers et géopolitiques. L’Église est aussi financée par des mouvements conservateurs. Et les Églises africaines sont très conservatrices sur la question du droit des femmes, des minorités sexuelles. Ce qui surprend beaucoup de spectateurs, c’est de découvrir que ces femmes prêtres existent, qu’elles sont déjà au nombre de 300 et vraiment mon but en réalisant ce film était de les montrer sur le terrain, de faire entrer dans l’imaginaire collectif cette image d’une femme habillée en prêtre pour que les mentalités puissent évoluer.