Quel lien peut-il bien y avoir entre le vote des femmes et l’abolition de la peine de mort ?
Chronique par Guy Le Comte*
La Suisse, « la démocratie témoin » d’André Siegfried, s’est ridiculisée en étant le dernier Etat démocratique ou presque à accorder le droit de vote à ses citoyennes en 1971. Et sur le plan cantonal, les Appenzellois des Rhodes-Extérieures n’ont jamais accordé le droit de vote aux femmes, puisqu’ils y furent contraints par le Tribunal Fédéral en 1990.
La peine de mort, elle, est populaire. Elle a donc été abolie par décision des gouvernements ou des parlements qui ont pris le contre pied de leurs opinions publiques. Les sondages confirment que, dans la plupart des Etats, une large majorité des citoyens y reste favorable. Aux Etats-Unis, la peine de mort ayant été déclarée anticonstitutionelle par la Cour Suprême, 35 Etats l’ont rétablie, souvent par référendum. L’équité et le simple bon sens plaident en faveur du vote des femmes ou de l’abolition de la peine de mort, il ne devrait donc pas y avoir de risque à présenter ces objets en votation populaire. Le peuple a toujours raison
Le peuple dont on loue le bon sens et qui, disent certains, qui n’en croient pas un mot, a toujours raison, ne peut que plébisciter des solutions équitables et raisonnables. Il n’en est rien. Antonin le Pieux, l'empereur romain du IIe siècle, qu’on surnommait les « Délices du genre humain », proclamait qu’il préférait laisser échapper 1000 coupables plutôt que de punir un innocent.
J’ai l’impression qu’aujourd’hui beaucoup de nos concitoyens sont prêts à sacrifier des dizaines d’innocents pour que 1000 coupables périssent à coup sûr. On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs ! Victor Hugo avait raison qui définissait la peine de mort comme « une chose colossale, contradictoire et monstrueuse... composée d’assez de justice pour satisfaire la foule et d’assez d’iniquité pour épouvanter le penseur. »
En tant que citoyen suisse, j’ai été humilié le 20 août quand j’ai appris par la radio que je devrais peut-être aller voter sur une initiative demandant le rétablissement d’un châtiment que le canton de Genève avait aboli en 1871 déjà.
En tant que citoyen suisse, j’ai été humilié le 20 août quand j’ai appris par la radio que je devrais peut-être aller voter sur une initiative demandant le rétablissement d’un châtiment que le canton de Genève avait aboli en 1871 déjà.
J’ai été consterné par la qualité du débat qui suivit sur l’invalidation ou non de l’initiative. En période d’élection, il s’agit de ne pas égarer la moindre voix. La prudence était de rigueur, les politiques alignèrent donc les poncifs : le peuple souverain a tous les droits, on doit pouvoir lui poser toutes les questions, invalider l’initiative c’est aller contre l'esprit démocratique. Balivernes ! Le parlement fédéral a déjà invalidé des initiatives moins bancales que celle qu’ont rédigée les initiants.
Le débat qui entre 1862 et 1871 secoua la République de Genève au sujet de l’abolition a eu plus d’allure. En novembre 1862, le pasteur Jean Augustin Bost demanda l’aide de Victor Hugo et de sa « flamboyante plume » pour infléchir l’avis de la Constituante d’alors qui avait voté le maintien de la peine de mort.
La réponse d’Hugo arriva après la conclusion des travaux constitutionnels mais avant le scrutin populaire fixé pour le 7 décembre. Elle s’achevait sur cette profession de foi qui vaut aussi pour notre siècle : « Une constitution qui, au dix-neuvième siècle, contient une quantité quelconque de peine de mort, n’est pas digne d’une république ; qui dit république, dit expressément civilisation ; et le peuple de Genève, en rejetant, comme c’est son droit et son devoir, le projet qu’on va lui soumettre, fera un de ces actes doublement grands qui ont tout à la fois l’empreinte de la souveraineté et l’empreinte de la justice. »
Le projet de constitution fut repoussé par une coalition de radicaux, d’indépendant et d’abolitionnistes. Neuf ans plus tard donc, par la volonté de son peuple, la République de Genève devenait le troisième Etat au monde après le Portugal et les Pays-Bas à supprimer cette peine du passé. C’est un acquis qu’on ne peut effacer.
Certains Genevois sont moins regardants que moi, et j’aimerais dire à l’un d’eux, M. Hani Ramadan, qui trouve une valeur dissuasive à la peine de mort, que le pasteur Bost réprouvait l’adultère autant que lui mais qu’il était de ceux qui ne jettent pas la première pierre.
Guy Le Comte : " J'ai dû interrompre mes études secondaires. Je me considère comme un autodidacte, qui a eu de la chance d’avoir des maîtres."
Un livre: Germinal, de Zola
Une citation :
Molière, Le Misanthrope:
" J’entre en une humeur noire en un chagrin profond
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font. "
1942 : Naissance à Bâle de parents lausannois
1946 : Arrive à Genève après un détour par Wilderswil (BE) et Châteaux d'Oex (VD)
1969-1973 : Etudes de lettres à Genève, puis assistant d’histoire nationale. Professeur
d’histoire et de français.
1973-1978 : Membre du Conseil Exécutif de l'Eglise Nationale Protestante de Genève.
1993-1998 : Président des Unions Chrétiennes de Jeunes Gens (UCJG) Suisse
1993-1995 et 2005-2007 : Président de la Socité d’histoire et d’archéologie de Genève
2003 : Bourgeois d'honneur de Vaulion (VD)