Perdre en démocratie. Et ensuite ?
Par Hélène Küng*
Les arguments pour le « non » à cette initiative n’ont pas fait le poids. Ils étaient basés d’une part sur l’observation de la législation en vigueur (qui permet déjà l’expulsion de délinquants étrangers, en plus de la peine qu’ils doivent purger), d’autre part sur des valeurs comme l’égalité devant le droit, la non-discrimination, la proportionnalité de la peine.
Ces valeurs font partie de l’Etat de droit et de la Constitution fédérale, en principe pas « minoritaires » en Suisse, puisqu’elles appartiennent à un patrimoine national reconnu pour sien par une large majorité de citoyens. Et pourtant. Le traitement différent selon l’origine de la personne est en train de devenir une sorte de nouvelle norme. Le scrutin du dimanche 28 novembre, à l’instar d’autres votations récentes (initiative sur les minarets, imprescriptibilité de certains crimes d’ordre sexuel), a introduit un nouveau principe de discrimination dans la Constitution.
La faute à « trop d’intellectualisme » ? « Il faut parler aux émotions, avoir des arguments simples, en lien avec les peurs de l’électorat… » Cette recette de succès en votation, entendue à chaque scrutin, est un peu courte. La simplicité des arguments à elle seule ne suffit pas. Les moyens investis dans la campagne (en l’occurrence, sans comparaison entre les sommes consenties par les partisans du oui, et ceux à disposition des tenants du non) jouent un rôle décisif.
Au risque de paraître à contre-courant total, je ne veux pas me rallier à un discours émotionnel quel qu’il soit, sous prétexte d’assurer de meilleurs résultats en votation. La raison, l’examen des faits, la discussion autour du droit restent pour moi une discipline et un outil de civisme, à cultiver plus que jamais.
Parfois à contre-courant des religions, le droit a fait son chemin en parallèle au développement de la démocratie. Celle-ci a besoin du droit pour exister. La démocratie n’est pas basée sur de bons sentiments, mais sur le constat que les tensions inhérentes à une société doivent être gérées, si possible autrement que par voies de fait, conflits armés, guerres civiles etc.
Le droit et la démocratie font le pari de gérer les intérêts contradictoires en présence, en posant pour base une égalité imprescriptible, quels que soient le sexe, la religion ou la confession, le niveau de formation, le statut social, la fortune, les convictions, l’origine des personnes.
Tous ces éléments constitutifs d’identité peuvent alimenter et exacerber les tensions entre groupes ou personnes. Eh bien ces éléments si importants soient-ils ne posent pas la règle ; le droit leur est supérieur.
C’est ce qu’affirme le principe d’égalité et de non-discrimination.
Le droit pose deux principes complémentaires et apparemment contradictoires. D’une part l’égalité : la sanction d’un délit quelle que soit la personne qui l’a commis. D’autre part la proportionnalité, qui se traduit notamment par l’appréciation du juge ou du tribunal (circonstances du délit, points à prendre en compte dans le parcours du délinquant…).
Or ces deux principes complémentaires, assurant une certaine efficacité du droit (adéquation de la peine par rapport au délit), sont contournés par l’initiative acceptée le 28 novembre. En effet, à leur place, elle érige en règle d’une part la sanction liée à l’origine de la personne, d’autre part le caractère automatique de la punition pour un groupe de personnes, sans appréciation et sans proportionnalité.
Renoncer aux principes d’égalité et de proportionnalité, c’est mettre peu à peu en danger tous les groupes et personnes composant la société. Qui met-on hors droit ? Les étrangers ? Les pauvres ? Les personnes sans emploi ? Ces discriminations sont déjà en route ! Or chacune met tout le monde, peu à peu, en danger d’aléatoire et d’arbitraire, en danger d’anti-droit et d’anti-démocratie. Se battre pour l’égalité de traitement, c’est se battre pour tous et pour chacun. Une belle suite de programme, bien corsée, et bien « raisonnable », pour cette après-votation – et toutes les prochaines…
Hélène Küng
Les mots, la magie des mots : poésie, psaumes, chansons et mille textes et traditions pour trouver ou créer du sens.
Des mots pour dompter – ou est-ce
libérer ? – les émerveillements, les colères, les angoisses, les espoirs fous quotidiens. Pas très douée pour le silence, c’est clair. Mais passionnée par les rencontres, par les gens.
Citation :
« Quelque part entre s’en foutre et en crever. Entre s’enfermer à double tour et laisser entrer le monde entier. Ne pas se durcir mais ne pas se laisser détruire non plus. Très difficile. » Emile Ajar
Romans :
Jean Hatzfeld, La stratégie des antilopes
Frédérique Hébrard, Esther Mazel et Les châtaigners du désert
BIO EXPRESS
- Née en 1957 à Lausanne, enfance aux Etats-Unis et en Suisse
- 1980 : Mariage, licence en théologie, départ au Rwanda avec Jacques Küng, séjour de six ans.
- Dès 1983, naissance de 4 enfants
- 1995-1996, la famille retourne pour un an au Rwanda
- 2000-2007, à mi-temps à l’aumônerie auprès des requérants d’asile au CEP de Vallorbe Depuis mars 2007, directrice du Centre social protestant Vaud
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