«Les Facultés de théologie doivent bénéficier de leur liberté académique»
Depuis 2022, l’anthropologue Irene Becci est la doyenne de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (FTSR). Elle a souhaité réagir aux propos de l’ancien président des Eglises réformées romandes Jean-Baptiste Lipp, parus dans les colonnes du «Temps». En fonction jusqu’en décembre dernier, celui-ci accusait les Facultés de théologie de Genève et Lausanne de vouloir maintenir un monopole quant à la formation du corps ministériel des Eglises réformées, notamment face à la concurrence que pourraient représenter la HET-PRO – Haute Ecole de théologie en attente de certification HES. Une situation qu’il jugeait «paradoxale», au vu de la prise de distance ressentie de la part de la FTSR vis-à-vis des Eglises ces deux dernières décennies. Interview.
La FTSR a souhaité réfuter toute «volonté de maintenir un monopole». En quoi cela n’est-il pas correct selon vous?
Dès le départ, les Eglises réformées ont travaillé avec nos facultés, qui sont nées avec le protestantisme. Depuis presque cinq siècles, nous sommes le lieu de formation pour les pasteurs réformés. Ce ne sont pas les facultés qui revendiquent quoi que ce soit: cela est extrêmement important pour les Eglises de pouvoir collaborer avec des institutions qui sont reconnues académiquement. Il y a plein de métiers d'Eglise pour lesquels les Eglises réformées comptent sur leurs propres ressources en matière de formation. Mais pour le pastorat, elles se conforment aux normes européenes de la Concorde de Leuenberg, selon lesquelles le pasteur doit être au bénéfice d’un master universitaire en théologie.
Pourquoi la FTSR s’est-elle donc opposée, en 2022, aux contrats de micro-stages d’observation entre l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) et la HET-PRO?
La FTSR ne s’est initialement pas immiscée dans les rapports entre l’EERV et la HET-Pro, c’est le Conseil synodal (Exécutif) de l’EERV qui a eu recours à l’expertise de la faculté. Suite à quoi, une discussion sur ces stages a eu lieu dans le cadre d’un dialogue régulier avec le Conseil synodal, et ce même si, en tant qu’université publique, nous n’avons pas de lien d’appartenance à une Eglise en particulier. Le monopole est en fait dans l’autre sens. Nous n’avons pas ce genre de rencontre avec d’autres Eglises, ce qui serait pourtant légitime car l’Eglise catholique romaine est également reconnue d’intérêt public dans ce canton.
Pourquoi la FTSR a-t-elle donné un avis défavorable quant à ces stages?
Lorsque l’EERV a voulu formaliser ces stages, le problème s’est posé juridiquement et théologiquement, car la HET-PRO n’est pas une entité de formation réformée reconnue. De plus, la HET-PRO s’inscrit dans une tradition évangélique, qui défend d’autres valeurs. Pour les Eglises réformées, nous sommes les garants d’une formation réformée académique. Elles y tiennent beaucoup. Cela montre combien il est erroné de dire que la faculté s’est distancée des Eglises.
La FTSR ne s’est-elle pas éloignée de sa mission première de formation au pastorat?
Evidemment, on a évolué en devenant également une faculté de sciences des religions il y a vingt ans. Nous avons alors élargi le champ de nos formations et le pastorat n’est de fait plus qu’une voie d’issue parmi d’autres. Cela n’a pas toujours été bien vécu. Or il faut cependant relever qu’il y a eu une succession de gouvernements questionnant le bien-fondé de la faculté au vu du faible effectif d’étudiants inscrits en théologie. Nous avons survécu en nous affirmant comme faculté publique répondant à un mandat plus large à l’endroit de l’entier de la population. Car la théologie, ce n’'est pas que pour devenir pasteur, j’y tiens. On forme des théologiens, qui peuvent s’engager ensuite également dans beaucoup d’autres professions.
Comment percevez-vous le rôle de la FTSR, aujourd’hui, face aux Eglises?
Les Eglises représentent un employeur potentiel important pour nos étudiants, comme les tribunaux le sont pour les étudiants en droit et les banques pour les étudiants en HEC. Nous devons garder ces perspectives en tête, mais ce n’est pas pour autant qu’une banque va dicter comment on enseigne l’économie. Chaque discipline doit pouvoir bénéficier de sa liberté académique. Cette indépendance garantit précisément la qualité des études. Pour autant, être autonome ne signifie pas ne pas être à l’écoute. Pour preuve la création en 2016 d’une chaire de théologie pratique pour répondre aux besoins exprimés par les Eglises.
Concrètement, quelle place la FTSR fait-elle encore aux Eglises réformées, et plus particulièrement à l’EERV, dans son organisation et son fonctionnement?
Il y a des échanges constants entre notre Décanat et le Conseil synodal, en plus d’autres délégations professorales au Synode et à la Commission de consécration. En même temps, ces deux institutions restent autonomes. Heureusement, car sinon, on n’aurait aucune chance d’être reconnu par nos collègues des autres facultés. Je comprends que l’on puisse être dans la nostalgie d’une autre époque, où les Eglises avaient davantage leur mot à dire sur nos programmes, mais je crois que celle-ci est contreproductive. En affirmant notre indépendance, on gagne en crédibilité. Non seulement auprès des étudiants d’autres confessions ou détachés des Eglises, mais également pour recruter les professeurs qui sont compétents.
Quid de la Loi cantonale sur l’EERV qui stipule que lors de l’engagement d’un professeur en théologie, la FTSR doit inclure un membre de son Conseil synodal dans son comité de sélection?
Nous sortons d’une période de flou concernant l’application de cette loi. La directive de l’Unil est très claire en matière de repourvue, et elle s’applique à toutes les facultés. Les experts externes sont en général des professeurs. Il faut donc au minimum avoir un doctorat pour faire partie de la commission de repourvue. Or, il n’y a pas toujours de personne ayant ce titre au sein du Conseil synodal. A l’été 2024, nous avons réussi à conclure un accord: pour tout poste professoral en charge d’un enseignement obligatoire de théologie, le Décanat désigne un représentant du Conseil synodal, titulaire d’un diplôme universitaire en théologie, comme membre de la Commission, avec voix consultative. Tout cela demande un peu de souplesse.