Les vœux de la Communauté Israelite de Lausanne

Les vœux de Noël d’Éliezer Shai Di Martino, Rabbin de la Communauté Israelite de Lausanne et du Canton de Vaud
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Les vœux de Noël d’Éliezer Shai Di Martino, Rabbin de la Communauté Israelite de Lausanne et du Canton de Vaud

Les vœux de la Communauté Israelite de Lausanne

Par midje
20 décembre 2024
Les vœux de Noël d’Éliezer Shai Di Martino, Rabbin de la Communauté Israelite de Lausanne et du Canton de Vaud.

Dans l’air chargé de décembre, alors que les crèches illuminent les foyers et les églises, un paradoxe nous interpelle : combien se rappellent que le Nouvel An chrétien, célébré le 1ᵉʳ janvier, marque aussi une étape essentielle dans la vie d’un enfant juif ?

Ce jour, selon la tradition chrétienne, correspond à la circoncision de Jésus, un rituel juif ancestral. Pourtant, cette vérité historique, longtemps admise officiellement par l’Eglise, reste largement méconnue ou occultée.

Dans un monde où narrations historiques et politiques s’affrontent, les Juifs continuent d’être au cœur d’accusations anciennes, habilement réinventées pour s’adapter aux conflits contemporains. Ainsi, l’instrumentalisation de Jésus comme un « Palestinien » en keffieh, aussi absurde historiquement que théologiquement, illustre une tendance dangereuse : le recyclage des accusations, du déicide au génocide, en fonction des contextes idéologiques et géopolitiques.

L’accusation de déicide, qui remonte aux premiers siècles de l’ère chrétienne, a empoisonné les relations entre le christianisme et le judaïsme pendant des millénaires. Bien que l’Église catholique ait formellement rejeté cette accusation collective en 1965 avec Nostra Aetate, elle persiste dans l’imaginaire collectif. La phrase des Évangiles, où le peuple juif est rendu collectivement responsable de la mort de Jésus (Matthieu 27:25), a alimenté des siècles de judéophobie, préparant le terrain aux persécutions, des pogroms à la Shoah.

Aujourd’hui, cette rhétorique trouve un écho moderne dans l’accusation de génocide portée contre Israël. Ce glissement discursif repose sur un mécanisme similaire : imputer à tout un peuple un crime collectif, en écartant les faits historiques et les nuances.

Le portrait de Jésus comme un « Palestinien » en keffieh, popularisé par certains militants et médias, relève d’une ignorance historique flagrante. Jésus était un Juif pratiquant, respectueux de la loi mosaïque, et enraciné dans le judaïsme de son époque. En l’érigeant en symbole politique moderne, on falsifie son identité et on instrumentalise la religion à des fins partisanes.

La référence à la Palestine se trouve ici travestie par le fait que la notion a été introduite par les Romains, notamment par Hadrien, dans le deuxième siècle pour effacer le terme de Judée, plus d’un siècle après la mort du Christ. Or l’illustration met bien en scène des soldats israéliens au pied de la Croix ce qui contribue à renforcer encore davantage cette instrumentalisation et cette manipulation.

Ce narratif ne vise pas seulement à nier les racines juives du christianisme, mais aussi à délégitimer le judaïsme et le sionisme dans un discours manichéen où les Juifs deviennent invariablement les oppresseurs.

Il est aisé de tracer une ligne de continuité entre trois accusations clés :

  1. Le déicide, où le peuple juif est accusé du meurtre de Dieu.

  2. Les crimes rituels, qui imputent faussement des sacrifices humains aux rites juifs.

  3. Le génocide, accusation moderne portée contre Israël, amalgamant politique et religion.

Ces accusations, fondées sur des mythes et des préjugés, servent à alimenter une haine millénaire. Aujourd’hui, l’accusation de génocide illustre une obsession antijuive où Israël devient un bouc émissaire universel.

La persistance de ces accusations s’explique par ce que l’on pourrait appeler le « facteur J » (Juif). L'idée du « facteur J » s'inspire d'une expression célèbre du journaliste et homme politique italien Alberto Ronchey : le « facteur K ». Ce concept, forgé dans le contexte de la politique italienne du XXᵉ siècle, désignait les obstacles insurmontables qui empêchaient le Parti Communiste Italien (PCI) de fonctionner comme un parti politique ordinaire. Le terme « K », pour Kommunizm, mettait en lumière deux aspects : d’une part, le lien idéologique et stratégique du PCI avec l’Union soviétique, qui suscitait méfiance et hostilité dans le contexte de la guerre froide, et d’autre part, l’incapacité des autres partis de gauche en Italie à proposer une alternative viable en raison de l'hégémonie du PCI sur leur électorat. Ce « facteur K » expliquait en grande partie l'anomalie politique italienne où le PCI restait à la fois puissant et tenu à l'écart du pouvoir.

En empruntant cette idée, le « facteur J » reflète une dynamique similaire, mais dans un tout autre registre : il s'agit d'une fixation irrationnelle sur tout ce qui touche aux Juifs ou à Israël. De la même manière que le « facteur K » provoquait des blocages et des réactions disproportionnées dans le champ politique italien, le « facteur J » révèle un dérèglement dans les discours et les perceptions lorsqu’il s’agit du peuple juif ou de l’État d’Israël.

Ce « facteur J » incarne une sorte d’obsession universelle : face aux termes « Juif » ou « Israël », certains esprits s’égarent dans des constructions imaginaires, où les Juifs sont investis d’un rôle mythique ou symbolique – souvent négatif – qui ne serait jamais appliqué à d’autres groupes humains. Il s’agit d’un phénomène récurrent dans l’histoire : des accusations de déicide aux crimes rituels, jusqu’à l’assimilation moderne du sionisme à un colonialisme génocidaire, le « facteur J » révèle une tendance à projeter sur les Juifs les peurs, les frustrations et les fantasmes collectifs.

Ainsi, en empruntant au « facteur K » l’idée d’une irrationalité systémique et persistante, le « facteur J » nous aide à comprendre pourquoi les Juifs continuent d’occuper une place disproportionnée dans l’imaginaire collectif, souvent au détriment de toute rationalité ou vérité historique.

Ce phénomène s’enracine dans les profondeurs de l’inconscient collectif, comme une forme de parricide virtuel ou une régression obsessionnelle, difficile à soigner mais non impossible.

Gustave Le Bon a écrit : " les hommes les plus éminents ne dépassent que bien rarement le niveau des individus les plus ordinaires. Entre un grand mathématicien et son bottier il peut exister un abime au point de vue intellectuel, mais au point de vue du caractère la différence est le plus souvent nulle ou très faible. (Psychologie des foules (2e édition, revue) / par Gustave Le Bon, pag. 17). 

Cette analogie permet de comprendre comment des individus cultivés, y compris des universitaires, peuvent sombrer dans une obsession judéophobe.

Ils voient dans chaque action israélienne une preuve de génocide, ignorant les véritables enjeux sécuritaires. Cette obsession transforme leur critique en une forme de dépendance intellectuelle, alimentée par des narratifs inversant les rôles : les agresseurs deviennent victimes, et les victimes, bourreaux.

Dans ce contexte, les responsables religieux et intellectuels ont un rôle clé. La « palestinisation » de Jésus et de son environnement est un exemple de déformation historique qui nourrit des malentendus entre Juifs et chrétiens et exacerbe les tensions autour du conflit israélo-palestinien.

Dans le monde juif, il peut y avoir une confusion entre la figure messianique de "Christ" et celle de Jésus le Juif. La première, propre au christianisme, ne nous concerne pas, mais la seconde, historique, nous touche. Les voix juives doivent donc rappeler les faits historiques : Jésus était un Juif, et le détacher de ses racines ne sert ni le christianisme ni la paix.

L’accusation de génocide, comme celle de déicide, n’est pas une simple erreur. Elle perpétue une haine ancestrale sous des habits modernes. Rétablir la vérité est essentiel pour contrer ces narratifs et promouvoir la dignité humaine.

En cette période de Noël, il est beau de se rappeler que Jésus était un enfant juif, enraciné dans une tradition et une culture qui lui étaient propres. Reconnaître cette vérité ne diminue en rien la foi chrétienne, mais peut au contraire favoriser une meilleure compréhension et un respect mutuel entre nos religions. Joyeux Noël à nos frères et sœurs chrétiens, dans l'esprit de paix et d'unité !

Postscriptum
 Il est certain que face à l’accusation contemporaine de génocide portée contre Israël, toutes sortes de justifications « rationnelles » et « empiriques » surgiront, comme elles l’ont fait par le passé pour des accusations aussi destructrices que le déicide dans l’Antiquité chrétienne, ou les libelles de sang au Moyen Âge.