Les voix du prophète, du guérisseur et du poète à l’unisson
La théologienne neuchâteloise Muriel Schmid, vit aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années. Elle est directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix à Chicago. Elle partage des rencontres récentes qui l’ont marquée.
Photo: De gauche à doite: Helen Prejean, Fania Davis, Alice Walker CC(by-sa) Don LaVange, CC(by-nc-nd) ACLU of Southern California, CC(by-sa)Virginia DeBolt
Mi-avril, des collègues d’Utah Valley University, un gros campus qui se situe quelque 40 minutes au sud de Salt Lake City, organisaient un symposium sur le thème débattu de la peine de mort aux Etats-Unis. Dans ce cadre, il n’y a pas vraiment eu de débat; ce symposium rassemblait des voix fortement opposées à la peine de mort et permettait une conversation entre activistes de tous bords se battant pour l’abolition de la peine capitale. Deux de ces voix résonnent avec force: d’abord, celle de sœur Helen Prejean dont le portrait a connu un grand succès grâce au film Dead Man Walking (1995) avec Susan Sarandon dans le rôle de sœur Prejean; l’autre celle de Fania Davis, sœur d’Angela Davis, marquée par le mouvement noir américain des droits civiles, devenue championne de la justice restauratrice. Ces deux femmes, toutes deux dans leur septantaine maintenant, incarnent chacune à leur façon une tranche marquante de l’histoire politique américaine.
Je suis impressionnée par leur simplicité et leur humour; leur envie de communiquer et de partager; leur engagement profond pour un monde juste et équitable! De manière légèrement différente, elles en appellent au même principe. Pour sœur Prejean, le mot d’ordre, d’un point de vue chrétien, se traduit par cette injonction: «Do justice, charity is not enough!» (Pratiquez la justice, la charité ne suffit pas!) Et Fania Davis d’ajouter: «Work for justice, not against injustice only!» (Œuvrez pour la justice, pas seulement contre l’injustice!) Elles se complètent bien!
Ce double impératif me fait réfléchir à la vocation prophétique telle qu’elle nous a été transmise dans la tradition biblique. Dénoncer l’injustice est l’une des tâches essentielles du prophète vétérotestamentaire (NDLR de l’Ancien Testament); Amos est peut-être le meilleur représentant de cet appel constant à pratiquer la justice; mais il y a aussi Michée, Zacharie, Esaïe… ils dénoncent tous avec force les manquements et les faux pas, ils donnent voix aux opprimés, aux oubliés et ils condamnent ceux et celles qui perpétuent un système d’exclusion, de violence. Ces prises de paroles sont essentielles, centrales au message de la révélation divine biblique. Une fois le temps de la dénonciation passé, il faut travailler à la réparation et au pardon.
Jésus prophète et guérisseur! Il n’y a pas, chez Jésus, de dénonciation sans guérison; les deux sont constamment maintenus dans une tension mystérieuse. A l’écoute de sœur Prejean et de Fania Davis, je suis ramenée à cette réalité du Nouveau Testament. Parfois, ceux et celles qui se battent pour plus de justice oublient de se pencher sur les processus de guérison; de même, nos Eglises semblent parfois se focaliser davantage sur le message qu’elles veulent transmettre, plutôt que sur les gestes qui touchent et qui guérissent. Les principes de la justice restauratrice exigent un réel engagement pour nommer le mal et la souffrance, sans pour autant abandonner la conviction que ce qui s’est rompu peut se réparer.
Dix jours plus tard, j’écoute en silence une autre voix qui nous apporte, elle aussi, les échos d’une histoire encore toute récente et se conjugue bien avec celles de sœur Prejean et Fania Davis; j’écoute en silence la voix d’Alice Walker lisant ses poèmes, là juste devant moi, perchée sur une petite estrade sur le campus de Salt Lake City. Vous savez, Alice Walker, l’auteure de La Couleur pourpre, adapté au cinéma en 1985 par Steven Spielberg. Alice Walker, aussi dans sa septantaine, est pourtant bien plus que cela: une activiste, une écrivaine aux multiples talents, la première femme afro-américaine à recevoir un Pulitzer, et elle a marché aux côtés de Martin Luther King Jr! Avant tout poète ce soir-là, elle utilise ses vers pour nous parler de justice à son tour; sa poésie parle de foi, d’espérance et d’amour… et chez elle, dans ce cadre-là, la vertu la plus grande est l’espérance.
Hope Is a Woman Who Has Lost Her Fear L’espoir est une femme qui a perdu sa peur(Alice Walker, 2013)
In our despair that justice is slow Dans ce désespoir où la justice est longue à venir
we sit with heads bowed nous restons assis, têtes courbées
wondering à nous demander
how comment
even whether ou même si
we will ever be healed. nous serons une fois guéris.
…. ….
Hope is a woman who has lost her fear. L’espoir est une femme qui a perdu sa peur.
Along with her home, her employment, En même temps qu’elle a perdu sa maison, son
her parents, her olive trees, her grapes. emploi, ses parents, ses oliviers, ses raisins.
The peace of independence; La paix de l’indépendance;
the reassuring noises of ordinary neighbors. le bruit réassurant de voisins familiers.
….. ….
Hope is always the teacher L’espoir est toujours le maître
with the toughest homework. aux leçons les plus dures.
…. ….
Without justice, we will never Sans justice, nous ne serons jamais
be healed. guéris.