Afrique: «Les croyances de nos ancêtres demeurent indestructibles»
Où sont passées les religions africaines et comment sont-elles accueillies par les chrétiens? La réponse n’est pas chose aisée. Avec la diversité culturelle et ethnique présente sur le continent noir, même les spécialistes ont de la peine à s’accorder.
«Ces religions sont présentes et occupent une place importante, qu'on le veuille ou non», témoigne Mbog Bassong, égyptologue et planétologue, en service au Ministère de la culture du Cameroun et initié dans la confrérie du Mbog des bassa'a (ethnie du Cameroun, ndlr).
Bien en place avant l’exploration de l'Afrique par les missionnaires, «les croyances de nos ancêtres sont restées indestructibles», exprime également Jean Paul Ekoule Maka, spécialiste en anthropologie africaine et enseignant associé à la Faculté de théologie protestante et des sciences religieuses de l'Université protestante d'Afrique centrale. «Malgré l'influence du colonialisme, les pratiques religieuses africaines sont bien vivantes dans les cœurs et les villages.»
«Les religions africaines n'ont pas bougé d'un iota. Lorsqu'un Africain est promu à un poste, il tourne d'abord sa reconnaissance vers ses ancêtres avant de se rendre à l'église», atteste Mbog Bassong. Dans cette logique, ce dernier évoque l'exemple du président du Conseil de transition du Gabon, le général Brice Oligui Nguema, après sa prestation de serment: «Il a participé à un rituel mystique des peuples autochtones du Gabon, connu sous le nom de la spiritualité bwiti (un rite de passage qui provient des Pygmées et a été transmis ensuite à certains peuples du Gabon, ndlr.)».
«Des efforts vains»
«Nier l’existence de ces religions traditionnelles revient à nier la réalité des peuples africains», formule pour sa part le pasteur réformé de l'Église presbytérienne du Cameroun Paul Ekoue, par ailleurs aumônier d’un hôpital à Yaoundé. D’ailleurs, souligne-t-il, «tous les peuples ont fait un effort pour se relier à Dieu, d'où la naissance des religions».
Pour autant, Paul Ekoue pose un regard critique sur «ces rites et pratiques qui ne peuvent pas situer les religions africaines au même niveau que le christianisme». En cause, le fait que «ces religions traditionnelles traduisent les vains efforts des humains à venir à Dieu, à la différence du christianisme où c'est Dieu qui vient rencontrer l'homme dans sa nature pécheresse afin de le sauver. Or si un système spirituel n’arrive pas à réconcilier l'homme avec Dieu, alors il est vide de sens.»
Ici réside d’ailleurs la question centrale que posent ces religions africaines, dont «les fondements échappent à l’ordre divin» mais s'apparentent plutôt à «des formes de croyances et de rites fortement ancrés dans le monde visible et invisible», s’inquiète le pasteur.
Mépris occidental?
Une symphonie «bien occidentale», rétorque Mbog Mbassong, qui y voit au passage «la violence du christianisme à l'égard des religions africaines». A l'évidence, «on renie à l'Africain le droit d'avoir son modèle d'accession à l'Être suprême», s'offusque également Jean Paul Ekoule Maka. Selon lui, «il est normal que les religions africaines, dans le cadre de sa cosmologie et son système théologique, présente des régularités de structure qui la distinguent nettement des autres systèmes de croyances» – soit toutes choses qui «lui confèrent son caractère spécialement africain».
Une hypothèse qui passe mal chez les chrétiens, qui considèrent qu’«il n'y a pas un Dieu spécialement africain et un autre Européen», souligne Jean Yves Messanga, fidèle réformé. Et d’ajouter: «C'est précisément cette relation quasi incestueuse avec les ancêtres et la sorcellerie qui décrédibilise les fondements des religions dites africaines.»
De quoi excéder l'initié Mbog Bassong: «Pourquoi ne prend-t-on pas toutes ces préoccupations avec les religions orientales qui s'installent de plus en plus en Afrique?»
Fossé grandissant
Il en faut plus pour ébranler les chantres des religions africaines. A propos du regard inquisiteur jeté par les chrétiens sur l’origine de ces dernières, Jean Paul Ekoule Maka est ferme: «Aucune religion dans l'histoire du monde ne tire son origine de Dieu. Il y a des questions liées à la genèse de l'homme, à la nature, aux forces qui contrôlent l'univers qui sont fondamentales à l'existence humaine et les religions participent à la recherche des réponses à ces questions, entraînant ainsi l'homme vers Dieu».
Toutefois, d’après le pasteur réformé Paul Emmanuel Ekoue, «les positions semblent rigides» et «le fossé s’être de plus en plus creusé entre les tenants des religions traditionnelles africaines et ceux du christianisme». Et lorsqu'on l’interpelle sur le cas de certains chrétiens africains qui, selon Jean Paul Ekoule Maka, «commenceraient à apprécier certains aspects de la religion africaine», il lance: «C'est à un niveau très minoritaire, et encore il faut savoir de quel type de chrétiens on parle ici.»
Du côté des traditionalistes religieux africains, «on est moins extrémistes», avance Mbog Bassong. Telle qu'elle se déroule de nos jours, «l'évangélisation n'arrive pas à combler un certain nombre de vides dans la vie des Africains. Beaucoup de fidèles des Eglises chrétiennes continuent à avoir confiance en la religion africaine, sans l’afficher publiquement.»
Pour Jean Paul Ekoule Maka, le temps est venu de «chercher à réconcilier certains aspects positifs de la religion africaine et la foi chrétienne». Car si la question des rites traditionnels fait débat, à ses yeux celle-ci «ne doit pas cacher cette intention unique dirigée vers Dieu, que l'on rencontre chez tous les Africains», martèle-t-il. Jean Yves Messanga résume le problème à cette question finale: «Comment mettre dans un même bateau ce qui est humain avec ce qui est divin?»