Pourquoi les évangéliques soutiennent-ils Trump sur le réchauffement climatique?
La décision de Donald Trump de se retirer de l’Accord de Paris a créé un tollé international et a ravivé la profonde division politique aux Etats-Unis sur le changement climatique. La droite américaine s’est plutôt alignée avec le président, tandis que les démocrates se sont mobilisés contre une mesure manifestement dangereuse pour la planète.
Mais cette décision controversée a aussi mis en avant le contraste aigu entre les chrétiens conservateurs et le reste de la scène religieuse américaine. Tandis que ce sont majoritairement les protestants évangéliques blancs qui ont applaudi le geste du président, les catholiques, protestants traditionnels et autres dirigeants religieux l’ont décrié. «Le changement climatique est réel. Si nous ne protégeons pas la planète, l’échec sera d’ordre moral», a tweeté le cardinal de Chicago, Blase Cupich. On également pu assister à une déferlante de critiques, partagées par les officiels catholiques à Washington comme au Vatican, où le Pape François a fait de la protection de l’environnement une priorité.
S’il y a un problème, Dieu s’en occupera
D’autre part, des chrétiens conservateurs, tels que le célèbre commentateur et étudiant en théologie Erick Erickson, ne veulent rien savoir: «J’adore Jésus, pas Mère Nature», a-t-il tweeté. «Il nous appelle à prendre soin de la planète, mais ça ne veut pas dire que j’ai à me préoccuper du réchauffement climatique.»
Lors d’une assemblée publique à Coldwater, dans le Michigan, le républicain Tim Walberg, diplômé d’écoles évangéliques, a émis une opinion similaire: «En tant que chrétien, je crois qu’il existe en Dieu un créateur bien plus grand que nous. J’ai confiance que s’il existait un réel problème, il s’en occuperait.»
Une motivation politique
La raison pour laquelle les évangéliques blancs dédaignent tellement cette thématique suscite des questions. L’explication la plus simple et la plus usuelle est que, comme la plupart des gens, les chrétiens conservateurs font passer en premier leurs préférences politiques. Des études montrent que les évangéliques blancs continuent à soutenir fermement Donald Trump, ainsi que des positions favorables à l’économie et d’autres positions politiques républicaines. Le même mécanisme semble à l’œuvre ici.
«L’annonce que @realDonaldTrump se retire de l’Accord de Paris est une bonne nouvelle», a tweeté Ralph Reed, vieux routard de la droite religieuse et président de la Coalition pour la foi et la liberté. «Ça (l’accord de Paris, ndlr) endommagerait l’économie américaine, tuerait les emplois, et serait favorable à la Chine et à l’Inde. C’est mauvais.»
Position évangélique façonnée par la théologie
Mais la politique n’explique pas à elle seule la position des évangéliques blancs. Selon de récentes études sur les questions environnementales du moins, la théologie chrétienne conservatrice pourrait également expliquer les fortes divergences au sein même de la communauté protestante. D'après une analyse des sociologues Philip Schwadel du Nebraska et Erik Johnson de l’Université de l’Etat de Washington, publiée dans l’édition d’avril 2017 du «Journal pour l’étude scientifique de la religion», les opinions des évangéliques conservateurs par rapport aux politiques de l’environnement sont façonnées par la théologie plutôt que l’idéologie. Ils affirment cela en compilant presque 30 ans d’enquêtes récurrentes.
«Même au XXIe siècle, alors que la politique semble avoir une grande importance, les différences entre les divers groupes religieux dans leur soutien aux dépenses environnementales n’ont pas de rapport avec les points de vue politiques», explique Philip Schwadel. «Les points de vue théologiques semblent être le plus grand facteur pour expliquer les différences entre évangéliques et autres Américains.» Le chercheur explique que lorsqu'on analyse les valeurs des Américains sur les questions environnementales, le lien avec l’affiliation politique est aussi fort que le lien avec les croyances. Ces deux facteurs devancent largement toutes les autres variables, telles que l’éducation, le sexe, le revenu, la race et la géographie. Mais quand il s’agit de comparer les divers groupes religieux, les données montrent que les idées religieuses ont une bien plus grande importance pour les évangéliques que pour d’autres chrétiens.
L’attente de l’apocalypse et la politique du court terme
Le marqueur théologique principal de leur foi, explique le sociologue, est que les évangéliques ont tendance à avoir une compréhension littérale de la Bible. Ils croient, suivant la Genèse, que «la terre leur a été donnée pour faire ce que les hommes sont appelés à faire», et que la prophétie à la fin du Nouveau Testament que Jésus reviendra dans la gloire pour reprendre ses fidèles sera bientôt accomplie. En somme, si vous croyez que Dieu a créé la terre en six jours littéralement, et que le monde sera détruit en un clin d’œil, vous aurez plutôt tendance à avoir une vue à plus court-terme par rapport à l’environnement.
En même temps, d’autres chercheurs avertissent que cela ne s’arrête pas là. Molly Worthen, professeure assistante d’histoire à l’Université de la Caroline du Nord, Chapel Hill, et auteure de l’ouvrage «Apôtres de la raison: la crise d’autorité dans le monde évangélique américain», s’accorde pour dire qu’il est important de dépasser «cette tendance parmi les experts et scientifiques politiques, plutôt que de simplement étudier la théologie comme un vernis pieux sur leurs opinions politiques.»
Suspicion à l’encontre de la science
La chercheuse avance que même les personnes ayant un rapport purement littéral avec le texte incluent un contexte culturel dans leurs opinions bibliques. Dans le cas des évangéliques conservateurs, ce contexte a été fortement imprégné par leurs suspicions profondes à l'encontre la science et des chercheurs accusés de promouvoir un programme anti-religion. Cette attitude a pris de l’ampleur au cours du XIXe siècle avec le développement des approches scientifiques dans l’interprétation biblique et la réaction contre la théorie de l’évolution de Darwin. L’impression d’avoir été ridiculisés lors du procès Scopes en 1925 dans le Tennessee, où un enseignant a été condamné pour avoir enseigné l’évolution, a conduit les conservateurs chrétiens à toujours davantage de méfiance envers les élites et les intellectuels.
Selon Molly Worthen, les évangéliques ont été formés «à voir la Bible comme un livre codé qui, correctement interprété, révèle la véritable signification des événements actuels, quoi qu’en disent les scientifiques et élites politiques.» Dans les faits, cela a servi de point d’ancrage à un penchant pour les théories conspiratrices et un appétit pour les «fausses informations», et cela encourage beaucoup d’évangéliques à voir les experts, tels que les scientifiques climatiques qui travaillent sur la question du réchauffement planétaire comme de véritables «serviteurs de la cause du Diable.»
Réfuter les experts
Les chrétiens conservateurs ont également développé un réseau d’instituts et de laboratoires permettant de produire des théories alternatives qui semblent réfuter les experts «séculiers» en se servant de leurs propres outils scientifiques. Ce qui était autrefois une théologie est devenu une culture dont la rhétorique s'emploie à fournir une réponse alternative aux «faits» présentés par le monde séculier. Ces derniers sont alors plutôt considérés comme hypothèses ou pire : des opinions qui peuvent dont faire l'objet de réfutations.
Il n’est pas certain que les effets de changement climatique vont changer les esprits évangéliques dans les années à venir. Les études montrent que le reste du pays se sent de plus en plus impliqué, et que six personnes sur dix ont désapprouvé la décision de Donald Trump de se retirer de l’Accord de Paris. Pourtant, les chrétiens conservateurs comme Erick Erickson redoublent d’efforts pour défendre leurs points de vue bibliques. «En vérité, nous allons tous mourir. Mais ce ne sera pas à cause du réchauffement planétaire», écrit le blogueur dans le cadre d’une réfutation monumentale qu'il adresse aux libéraux et aux scientifiques. Erick Ericskon appuie son argumentation sur l'Apocalypse: «J’ai lu la fin du livre. Il y aura la famine. Il y aura la sécheresse. Il y aura des inondations. Et il y aura la guerre. Ensuite, il y aura le jour dernier où nous nous tiendrons devant notre Créateur et serons appelés à rendre des comptes. (...) s’inquiéter du réchauffement planétaire et de la justice sociale ne vous ouvrira pas les portes du paradis. Ce sera en sauvant des âmes. Mais c’est difficile de sauver des âmes si vous ne croyez pas au Dieu de la Création et que vous êtes trop préoccupés par l’adoration de cette Création.»