OECUMENISME: DEUX EXEMPLES CONCRETS1) Sainte Cène commune à Delémont

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OECUMENISME: DEUX EXEMPLES CONCRETS1) Sainte Cène commune à Delémont

28 mars 2003
Petite révolution en Ajoie : un prêtre catholique et un pasteur protestant préparent et célèbrent ensemble l’Eucharistie
Cela s’appelle une intercommunion et c’est en principe totalement interdit par Rome. Dialogue croisé avec les deux auteurs de cette audace théologique. L’épisode aurait pu passer totalement inaperçu. Il y a quelques semaines, le 9 mars dernier pour être précis, à Delémont, le Centre Saint-François fut le théâtre d’un évènement sinon unique, du moins rarissime : une inter-communion, où un prêtre catholique et un pasteur protestant préparent et célèbrent ensemble l’eucharistie. « Nous étions dans un cadre très précis, celui d’une rencontre du groupe romand de couples mixtes, un catholique marié à une protestante ou l’inverse. Il n’empêche. En principe, cela est totalement prohibé », explique avec enthousiasme Marc Seiler, pasteur à Porrentruy et officiant du côté réformé.

Premier problème, et son étymologie le laisse supposer, l’Eglise catholique considère qu’elle seule rassemble les chrétiens. De cette position universaliste découle, entre autres, le fameux différend au sujet de la théologie des ministères : pour le Saint Siège, en effet, seul un prêtre ordonné, représentant du Christ ici bas, est apte à donner l’Eucharistie, l’un des sacrements fondamentaux du catholicisme. « Dans notre tradition, comme pour les orthodoxes, il est effectivement inconcevable que quelqu’un d’autre qu’un ordinant prononce les paroles de consécration », explique Patrick Werth, prêtre à Porrentruy et co-auteur de cet acte audacieux.

Par ailleurs, lors de la distribution du pain et du vin, le prêtre perpétue le sacrifice du Christ. Selon la doctrine catholique, pain et vin - les espèces - contiennent alors le sang, l’âme et la divinité de Jésus : leur substance devient celle du corps et du sang du Christ. C’est le célèbre dogme de la transsubstantiation. Le protestantisme voit davantage dans ce moment une commémoration vivifiée de la Cène, le dernier repas de Jésus avec ses disciples.

§Une exception ou un exemple ?§

On l’aura compris, c’est avant tout du côté catholique que l’intercommunion se heurte à d’importants obstacles. C’est pourquoi même l’accueil eucharistique, la possibilité pour un croyant non catholique de prendre l’hostie, demeure proposée du bout des lèvres. Ainsi, alors que le Conseil synodal a juste été averti, Patrick Werth a pour sa part dû demander l’aval de Pierre Rebetez, le vicaire épiscopal de la région. « Dans ce contexte bien particulier, le représentant de l’évêque n’a émis aucune objection. Cela ne signifie nullement un blanc seing général », explique le prêtre.

Autant dire que les inter-communions ne risquent pas de se multiplier dans le Jura pas plus qu’ailleurs. Reste que la quarantaine d’adultes présents ne risquent pas d’oublier leur visite en Ajoie. « Je crois que tout le monde a eu le sentiment de vivre un moment fort, confie Marc Seiler. Nous en avons reparlé et les catholiques n’ont nullement eu le sentiment d’une frustration devant certains éléments ôtés à la liturgie dont ils ont l’habitude, par exemple la référence à la Vierge Marie ; ou encore l’offertoire, moment où pain et vin sont offerts comme si on refaisait le sacrifice ». Le pasteur estime que les évêques devraient montrer davantage d’audace pour permettre à ce genre de rencontre d’avoir lieu plus souvent. « Quand on s’approche de l’autre, on se rend compte qu’il n’est pas si différent. Il me semble que c’est ce vers quoi il faut tendre lors des rencontres oecuméniques ».

L’enthousiasme paraît plus mesuré du côté de Patrick Werth, qui avoue s’interroger. « A 46 ans, je fais partie de cette génération de prêtres pour lesquels l’œcuménisme va de soi. L’accueil mutuel avec le même pain et le même vin que chacun vit dans sa tradition n’est pas rien. Mais en même temps, en faisant cela, nous ne nous sommes pas beaucoup rapprochés ». Il ne cache pas un certain pessimisme quant à la possibilité de voir fleurir des intercommunions : « Il faut de toute manière entourer cela d’une préparation et d’une réflexion. De plus, la nouvelle génération de prêtres désire avant tout approfondir la tradition à laquelle ils appartiennent et ils se montrent plutôt moins ouverts à ce type de concessions ». Alors, un coup d’épée dans l’eau ?