Les Eglises romandes se saisissent de l'intelligence artificielle

Le milieu ecclésial romand n'a pas attendu pour se mettre à ChatGPT, de nombreuses initiatives émergeant tant du côté catholique que protestant. Une soirée de réflexion œcuménique est d’ailleurs organisée ce 12 septembre autour de ces pratiques. / IStock
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Le milieu ecclésial romand n'a pas attendu pour se mettre à ChatGPT, de nombreuses initiatives émergeant tant du côté catholique que protestant. Une soirée de réflexion œcuménique est d’ailleurs organisée ce 12 septembre autour de ces pratiques.
IStock

Les Eglises romandes se saisissent de l'intelligence artificielle

10 septembre 2024
Le milieu ecclésial romand n'a pas attendu pour se mettre à ChatGPT, de nombreuses initiatives émergeant tant du côté catholique que protestant. Une soirée de réflexion œcuménique est d’ailleurs organisée ce 12 septembre autour de ces pratiques.

«Peut-on être chrétien et regarder des films porno?», «Qu’y a-t-il après la mort?», ou encore: «Que dit la Bible des mariages mixtes?» Telles sont les questions que peuvent désormais poser, dans le plus grand anonymat, les internautes romands en quête de réponses bibliques. En effet, tant du côté catholique que protestant, des initiatives personnelles ont émergé, ces derniers mois, afin de mettre sur pied des robots conversationnels (chatbots) sur la base de contenus théologiques.

Sur son temps libre, le jeune ingénieur catholique Nicolas Torcheboeuf a développé CatéGPT, «un chatbot qui utilise les enseignements du catéchisme catholique et les textes du Magistère», présente-t-il. L’objectif? «Faire redécouvrir les textes fondamentaux de l’Eglise catholique, qui constituent un formidable patrimoine pour comprendre le monde dans lequel nous vivons», exprime-t-il, convaincu que «beaucoup des questions que l’on se pose trouvent des réponses dans les encycliques et les catéchismes».

Du côté réformé, la médiatique pasteure Carolina Costa de l’Eglise protestante de Genève (EPG) a lancé en début d’année une «assistante virtuelle» sur son site personnel. «Les gens vont sur le web à toute heure du jour et de la nuit pour trouver du contenu mais aussi pour poser des questions et chercher du réconfort. Humainement, il est impossible d’honorer toutes ces demandes», explique-t-elle. «Mon mari Victor a alors eu l’intuition de créer une IA dédiée, qui aiderait les internautes à trouver rapidement des contenus pour approfondir leurs recherches.» Ce dernier travaille d’ailleurs actuellement à la mise en place d’un système similaire pour le site «Questiondieu.com», appartenant au service de médias protestant Médias-pro. A la différence près que celui-ci ne rédigera pas de réponse, mais puisera dans ses archives des interventions de pasteurs en lien avec la question formulée par l’internaute.

En Suisse alémanique, une chapelle catholique lucernoise a même carrément installé dans un confessionnal une statue de Jésus animée par une IA pour répondre aux questions des badauds.

Incontournable, mais…

Autant d’initiatives qui ont incité les responsables de Formationplus, le réseau œcuménique suisse de la formation continue, à organiser une soirée de réflexion sur la thématique le 12 septembre, en compagnie de Charles Morerod, évêque du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, et Pierre-Philippe Blaser, vice-président de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS).

«Il est difficile, en Eglise, d’ignorer l’IA en considération de sa popularité médiatique et de ses prouesses. Il est de fait approprié qu’une réflexion ait lieu sur son utilité dans ce cadre, mais aussi d’éprouver ses possibilités et ses limites», figure Pierre-Philippe Blaser. Pour sa part, l’évêque Charles Morerod rappelle que «les moyens de communication sont centraux dans l’Eglise du Verbe fait chair», en référence à l’incarnation de Dieu sur la terre en la personne de Jésus-Christ. A ses yeux, «il serait regrettable que les membres des Eglises négligent de tels instruments».

Ces responsables religieux préconisent néanmoins la plus grande prudence face à de possibles dérapages. «L’existence de ce risque existe et il en appelle à notre responsabilité», détermine Charles Morerod. En effet, contrairement à son appellation, «l’intelligence artificielle est dépourvue d’intelligence. Tout chatbot ne fait que refléter les informations, valeurs et biais dont ses concepteurs l’ont nourri», expose Matthieu Corthésy, formateur en entreprise spécialisé sur le sujet.

Une question de sources

Comme pour CatéGPT, le couple Costa a d’ailleurs choisi d’«éduquer» son chatbot à ne recourir qu’aux contenus qui lui ont été fournis et «à ne pas chercher ailleurs sur la Toile d’autres informations». Les sources utilisées? «En premier lieu, l’Evangile, à la base de tout mon travail pastoral», indique Carolina Costa. «Notre IA a été nourrie ensuite de plus de 150 vidéos Youtube (réalisées par le couple, ndlr.) et une centaine d’articles de blog rédigés par divers théologiens réformés.»

S’il salue «l’ambition d’une mise à disposition personnalisée du savoir biblique», l’éthicien de l’Université de Genève Ezekiel Kwetchi Takam, spécialiste de ces questions, met en garde contre les «biais de confirmation». «Dans le cadre de l’assistance ou de l’accompagnement, l’IA pourrait, de par son habitude à converser avec un utilisateur, très vite proposer des solutions, réponses ou interprétations qui ne feraient que conforter les sentiments et les convictions dudit utilisateur», décrit-il. Et de faire le lien avec ce qui est observé sur les réseaux sociaux et leurs «algorithmes qui participent à l’extrémisation du débat politique en proposant aux internautes des contenus qui ne feront qu’amplifier leurs croyances».

Prônant une approche critique et pondérée, le pasteur Pierre-Philippe Blaser estime du reste que «l’erreur serait de donner une trop grande autonomie d’action à l’IA, laissant croire qu’elle se suffit du fait de son auto-correction. On sait déjà que tout ce que l’IA produit ne sera pas intelligent.»

Hallucinations peu catholiques

«Ce qui me frappe quand on fait une recherche avec ChatGPT sur une personne, c’est qu’on obtient vite tout ce qui se trouve sur internet, combiné avec de pures inventions destinées à boucher les trous», pointe d’ailleurs l’évêque Charles Morerod.

Un phénomène bien connu des spécialistes de l’IA générative: «La machine va agir comme un stagiaire qui a envie de vous faire plaisir en répondant à vos attentes. Alors quand il ne sait pas, il invente», explique Matthieu Corthésy. «C’est le prix à payer pour avoir des réponses qui semblent humaines. On peut limiter ces hallucinations, mais le risque perdure, il faut en être conscient.»

Pour l’éthicien Ezekiel Kwetchi Takam, «cette technologie disruptive étant appelée à changer notre quotidien, il est impératif de règlementer ces initiatives, afin de préserver des espaces pour les relations humaines: le message chrétien est avant tout un message de rencontre.»

«Parler de l'éternité avec ChatGPT?»

Jeudi 12 septembre, de 18 h30 à 21 h

A Fribourg en présence de Mgr Morerod et Pierre-Philippe Blaser (CCRFE), à Lausanne (Jardins Divers) et en ligne

Lien zoom: https://us06web.zoom.us/j/84194515930

Plus d’infos sur: https://www.ref-fr.ch/semainenationaleformation