Sexe: consomme! en guise de 11e commandement

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Sexe: consomme! en guise de 11e commandement

27 juin 2003
Le Musée d’ethnographie de Neuchâtel a choisi le balisage religieux pour parler de sexualité et de transgression dans sa nouvelle exposition "X, spéculations sur l’imaginaire et l’interdit"
Première visite en compagnie des conservateurs d’un étonnant parcours à travers les fantasmes contemporains du tout marchand. Le Décalogue en fil rouge d’un cheminement à travers les représentations de la sexualité. Pour sa nouvelle exposition "X, spéculations sur l'imaginaire et l'interdit" , le Musée d'ethnographie de Neuchâtel a choisi les dix commandements comme balisage d'un parcours initiatique à travers les fantasmes et les interdits de notre quotidien.

Aujourd’hui, notre société de consommation utilise souvent l’intime et le sexe comme déclencheurs. Exhibé, sur-représenté, le corps demeure pourtant davantage qu'une donnée biologique, la représentation de valeurs, d'usages dictés par le contexte social. Mais quels sont-ils ? Et si le désir s'adapte à chaque nouvel interdit, trouve de nouveaux canaux d'expression pour mieux le contourner, où se situe la limite de l'acceptable ? La marchandisation générale devient-elle le nouveau diktat, la nécessité suprême qui supplante toutes les autres, et notamment les prescriptions morales ou religieuses ? « En ce début de XXIe siècle, dans un monde globalisé et travaillé par des pulsions opposées, du plus extrême refoulement à la permissivité la plus totale, une injonction majeure ressort du lot, comme si elle offrait la caution ultime de tout investissement humain: consomme, prescrit la règle », souligne le conservateur Jacques Hainard.

§Visions décaléesLa « déambulation onirique » proposée par le Musée d'ethnographie de Neuchâtel évoque donc la perpétuelle tension entre imaginaire et interdit. « Notre leitmotiv consiste à interroger nos fonctionnements pour mieux nous approcher de l'autre. En parlant de sexualité, nous ne voulons pas donner des leçons aux gens, mais leur proposer une série de visions un peu décalées », explique le conservateur adjoint Marc-Olivier Gonseth.

L’entrée donne le ton : plongé dans une semi obscurité comme l’ensemble du dédale, plein de recoins sombres cachant sans doute nos secrètes pulsions, ce vestiaire permet de se débarrasser des préjugés, « pourtant la présence de moutons rappelle que l’homme moderne suit avant tout les modes », détaille Jacques Hainard. Suivent une dizaine d’espaces, du salon bourgeois et ses estampes de nu « acceptables » à la chambre d’adolescent remplie d’objets troublants et au safe d’une grande banque abritant les réseaux secrets de l’affairisme international, en passant par les toilettes dont les murs demeurent « le seul endroit où l’ouvrier peut parler à son patron », selon la formule d’un auteur célèbre. A chaque fois, un film renforce la scénographie, "Salo" de Pasolini et ses esclaves humains ; "Festen" de Vinterberg et ses terribles secrets familiaux.

La plupart des objets présentés ont été trouvés dans le commerce et la vie de tous les jours, à l’instar des ces étonnantes petites poupées dont le tronc émerge de cornets glacés en plastique. On se demande quel fantasme alimentent ces jouets dénichés au rayon bambin d'une grande surface! D’autres proviennent de sex-shops, aimablement prêtés par la chaîne Beate Ushe, puisque le poids-lourd des commerces érotiques soutient l’événement. « Si l’on demande que les enfants de moins de 14 ans soient accompagnés d’un adulte, précise Jacques Hainard, c’est surtout pour des raisons pédagogiques. Nous avons évité l’étalage de scènes ou d’objets choquants, puisque ce n’est pas notre propos ».

§"Le Cantique des Cantiques" et le désirAu centre de la visite, une pièce en forme de peep-show dont les lucarnes offrent un regard imprenable sur le public de chaque salle. Voir sans être vu, contrôle de tous par tous, comme l’imaginait Foucault dans « Surveiller et punir». Pour chaque fenêtre, l’un des dix commandements. Et au sol, paraissant signifier que notre société en a fait l’obligation dernière, feignant d’oublier toutes les autres : « Mais tu consommeras néanmoins ». Jacques Hainard : « A cette étape, le visiteur peut faire l’expérience d’un second regard sur les choses et mieux appréhender la dynamique entre interdit et transgression ».

La dernière vision de l’exposition est double, d’abord endroit immaculé et baignant d’une lumière blafarde, « glaciation des sentiments » où tout est figé à l’image de ces objets coulés dans la résine. « Mais le désir est inhérent à notre nature et comme ces images qui défilent à toute vitesse, il ne peut être stoppé », note Marc-Olivier Gonseth dans l’ultime espace recouvert de coussins de soie où en fond sonore le réveil du désir est symbolisé par...le Cantique des cantiques. Pour rappeler que le religieux « imprègne les références de chacun et dit quelque chose à tout le monde, souvent de manière vague voire inconsciente. Nous nous en sommes servis de balise de compréhension, dans la mesure où la transgression d’un modèle est aussi ce qui le fonde ».

§UTILE

X, spéculations sur l’imaginaire et l’interdit, Musée d’ethnographie de Neuchâtel, du 28 juin au 25 janvier 2004.§