Croire aujourd’hui : une Neuchâteloise analyse la construction de l’identité religieuse en Suisse

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Croire aujourd’hui : une Neuchâteloise analyse la construction de l’identité religieuse en Suisse

10 juillet 2003
La distance prise à l’égard de la religion est-elle synonyme de son rejet ? Pour sa thèse de doctorat en sociologie à l’Université de Lausanne, la Neuchâteloise Martine Haag a analysé la façon dont les individus rendent compte aujourd’hui de leur parcours religieux et définissent leur identité dans un contexte d’individualisation du croire
Le bricolage spirituel a-t-il vraiment cours ? La doctorante apporte une réponse optimiste que tempère la sociologue française Danièle Hervieu-Léger, présente dans le jury : il ne peut s'appliquer qu'à l'exception suisse. Martine Haag s’est attachée à analyser la façon dont chacun essaie de se construire une identité et à trouver des références et des repères autres que ceux qui viennent de s'effondrer. Elle a établi une typologie des formes langagières dans lesquelles les individus rendent compte de leur parcours religieux à partir d'un groupe donné, des ingénieurs ETS entre 30 et 40 ans habitant domiciliés dans le canton de Vaud, dont elle a recueilli le récit du parcours de vie. Son choix s’est porté sur ce groupe pour sa forte adéquation aux attitudes et comportements religieux types de notre époque, mais aussi parce qu’il est constitué des descendants directs de la génération des « baby boomers » qui ont induit des changements politiques, sociaux et culturels majeurs depuis la fin de la dernière guerre. On peut toutefois regretter qu’il n’y ait pas une femme parmi ses interlocuteurs.

A partir de cet échantillon, la chercheuse a pu relever l’existence de cadres d’identification religieuse et aborder d’un œil critique la notion de bricolage religieux dont parlent abondamment les médias. La typologie qu'elle a établie lui permet de classer les différentes manières qu’ont les individus de construire leur identité et de se définir par rapport à la question spirituelle. Elle a ainsi repéré 5 registres :

Le registre relationnel dans lequel elle range ceux qui mettent au premier plan leur relation à autrui, à partir de laquelle se construit leur définition de l’univers religieux. Cet autrui est nécessairement articulé à une dimension croyante.

Le registre intellectuel où figurent entre autres ceux qui font une lecture critique des textes bibliques pour renforcer leur dimension croyante et privilégient la réflexion pour redéfinir leur représentation du monde, notamment religieux. Elle y range aussi ceux dont l’univers de référence bascule le jour où ils perdent la foi. La dimension croyante n’est pas totalement évacuée de leur vie mais devient objet de réflexion.

Le registre personnel où se retrouvent ceux qui ont rencontré Dieu et témoignent de cette expérience. La relation intime qu’entretient le sujet à Dieu est ressentie comme vitale.

Dans le registre socioculturel, on retrouve ceux qui se sont distancés des croyances religieuses mais qui acceptent qu’autrui puisse croire et avoir des convictions religieuses. Si l’individu ne s’engage pas lui-même dans un univers croyant, il reconnaît la liberté religieuse d’autrui et la respecte.

Le registre de la fidélité religieuse englobe ceux qui croient en un Dieu compatissant, évoqué notamment dans les moments difficiles de la vie, et qui restent fidèles à leur tradition religieuse d’origine. Pour eux, il est évident de croire et de transmettre un héritage religieux à leurs enfants. Ils accordent en outre aux Eglises un rôle social. La sociologue n’a toutefois prévu aucune catégorie pour les indifférents qui ne se reconnaissent aucun ancrage religieux passé ou présent.

§Mieux que du bricolage Si les interlocuteurs choisis par la chercheuse sont effectivement des « bricoleurs », elle ne constate toutefois pas un repli de leur part, une recherche du quant-à-soi religieux qui les conforterait dans une sorte d’appropriation individualiste et satisfaite du patrimoine chrétien ou d’autres traditions religieuses. « Si bricolage il y a, constate-t-elle en conclusion de sa thèse, celui-ci relève davantage d’un souci d’élaboration d’un univers religieux ouvert à autrui, à la confrontation, à la remise en question, ou marqué par une volonté de se définir dans un rapport informé à la tradition religieuse et à la pluralité de ses transformations ».

La chercheuse a été frappée par la capacité de ses interlocuteurs à utiliser non seulement les ressources dont ils disposent pour les réorganiser dans une forme identitaire qui leur soit propre, mais également à se mobiliser pour en découvrir de nouvelles, que ce soit dans la confrontation directe ou médiatisée à autrui ou a à d’autres groupes religieux. « Effectivement les individus bricolent, estime Martine Haag, mais ils le font au même titre que tous les acteurs du champ religieux engagés eux aussi dans une redéfinition du religieux et une remise en question de la manière de transmettre des systèmes de croyances, de pratiques et de valeurs cohérents. Optimiste, sa conclusion ne peut s’appliquer qu’à la Suisse, relève la sociologue française Danièle Hervieu-Léger,présente dans le jury lors de la soutenance de thèse de doctorat mercredi passé à Dorigny. La spécialiste française de la transmission religieuse en modernité, auteur de l’ouvrage « Le pèlerin et le converti », estime que les évidences helvétique, font de la Suisse un cas tout à fait particulier. Il faut rappeler que le terrain d’observation privilégié de Danièle Hervieu-Léger est l’Hexagone, fortement attaché à la tradition républicaine de la laïcité.