Lorsque Freud et Jésus se rencontrent

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Lorsque Freud et Jésus se rencontrent

5 septembre 2003
Parmi les nombreuses techniques thérapeutiques créées pour aider les personnes dans la détresse, les chrétiens ont développé la relation d’aide, en plein essor depuis 20 ans
Ils tentent d’accorder prière et Bible avec les outils offerts par les sciences humaines. Tour d’horizon. La relation d’aide a le vent en poupe. Cette forme de présence ecclésiale auprès des âmes chahutées par la vie connaît même une véritable explosion depuis deux décennies. « Lors de la création de la Barque en 1981, il existait deux ou trois lieux d’écoute en Suisse romande, reconnaît le responsable actuel de l’association lausannoise, Gilbert Cretegny. Aujourd’hui, il doit y en avoir entre 20 et 30 ».

Aucun doute, donc, le besoin existe. Mais qu’est-ce au juste que la relation d’aide ? Difficile, en tout cas, d’en situer les limites et les méthodes, tant les pratiques diffèrent au sein mêmes des structures d’Eglises. « Beaucoup de pasteurs en font sans lui donner de nom, estime Guy Chautems. Je suis à l’écoute des gens, et j’essaie de faire écho à ce qu’ils me disent avec la Parole qui m’habite ». En poste à l’Abbaye, puis à la cathédrale de Lausanne, et enfin dans la paroisse du Mont, Guy Chautems fut aussi le premier président du conseil de La Barque. Avec son épouse Denise, il vit une retraite des plus actives. « Nous nous sommes engagés depuis six ans au sein d’Oïkos, un ministère spécialisé pour les couples et les familles ». En plus d’animer des camps et des voyages, le couple continue à recevoir de nombreux visiteurs taraudés par le mal de vivre: je le fais de la même manière que j’allais chez mes paroissiens : en tentant de les accompagner dans des combats très divers, que ce soit face à la maladie, au deuil, aux soucis financiers, professionnels ou relationnels ».

§Aux limites des sciences humainesLa fin de la seconde guerre mondiale voit l’explosion de techniques issues des sciences humaines : psychiatrie, psychothérapie, psychologie, analyse transactionnelle ; sans oublier les multiples méthodes aux contours plus ou moins New age comme la sophrologie, le reiki (méthode japonaise d’imposition des mains) et bien d’autres. « La relation d’aide, c’est un peu la réponse chrétienne à cette floraison, avec la volonté de mettre Dieu au centre de la démarche comme Celui qui ouvre des pistes et vient en aide. Pour nous, toute force ne vient que de lui seul ». Guy Chautems rappelle qu’Elie ou Elisée, dans la Bible, exerçaient déjà pareil ministère. « Il s’agit donc de poursuivre cette oeuvre, qui était aussi celle du Christ, tout en étudiant certains outils offerts par les sciences humaines ».

Dans la plupart des cas, les conseillers en relation d’aide se considèrent comme complémentaires aux thérapies psy. « Nous recommandons d’ailleurs à celles et ceux qui sont en analyse de signaler leur venue chez nous », explique Gilbert Cretegny, qui a repris les rennes de La Barque lausannoise après 13 années de pastorat au sein de l’Eglise évangélique de Renens. Avec plus de 1000 entretiens annuels représentant environ 200 personnes suivies, dont deux tiers de femmes, l’institution lausannoise ne chôme pas. Quelques bénévoles formés (lire encadré) complètent le travail de Gilbert Cretegny et de sa collègue salariée. « Nous offrons un endroit où l’on peut venir exprimer ce que l’on vit et où l’on essaie d’accompagner la personne là où elle en est aujourd’hui. Par rapport à une thérapeute laïque, notre spécificité est naturellement la place accordée à la Bible et à la prière. Dans notre esprit, il y a donc complémentarité et pas du tout opposition ».

§Formation romandeIl existe désormais une formation romande de relation d’aide (« Forrac »), qui se déroule sur 3 ans. D’autres cours, dispensés par le formateur français Jacques Poujol, rencontrent également un important succès. « Mais ma principale ressource demeure ma foi et l’amour pour mon prochain, note Guy Chautems. Il faut aussi savoir reconnaître son impuissance devant certaines situations et éviter de placer l’autre dans un lien de dépendance ». A travers une conception pastorale de la relation d’aide, Guy Chautems donne souvent un coup de main pour les démarches administratives ou la formulation d’un budget. Et quant il le faut, il accompagne la personne dans un service social ou chez un patron.

A la Barque, au contraire, les rendez-vous se déroulent toujours dans les locaux de la Madeleine, selon des modalités immuables. « Les entretiens demeurent confidentiels, dans un cadre connu. C’est une sécurité pour ceux que nous rencontrons, et aussi pour nous-mêmes ».

Même cadre du côté de Genève avec Horizon neuf ou de Morges avec Le Point d’Eau. Paulette Guignard fait partie des 6 collaborateurs de cette institution fondée en 1987. « La plupart des gens viennent pour retrouver ou découvrir une relation avec Dieu, ce qui est aussi une recherche existentielle de leur propre identité ». Elle pratique la relation d’aide depuis 16 ans, et cherche à développer une « confiance avec la personne en souffrance qui l’aidera à découvrir de nouveaux chemins de vie. Je marque une étape avec elle dans le respect de sa différence et de ce qu’elle est ». Avec d’autres, Paulette Guignard reconnaît volontiers les enthousiasmes parfois coupables du passé, où l’on pensait parfois que la prière résoudrait tout : « La démarche actuelle consiste plutôt à rejoindre l’autre dans le respect de ce qu’il est ».