Vaud: Les protestants veulent tourner la page

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Vaud: Les protestants veulent tourner la page

5 septembre 2003
La librairie de l’Ale est menacée. Après un demi-siècle de présence lausannoise, la vitrine éditoriale de l’Eglise réformée vaudoise pourrait disparaître en même temps que « La Nef », son homologue catholique
Muriel Füllemann vit des heures difficiles. La gérante de la librairie de l’Ale sent qu’une page importante de l’Eglise réformée vaudoise (EERV) se tourne. « J’ai le sentiment que plus grand monde ne croit à notre survie », soupire la jeune femme. Après 51 ans de présence lausannoise, la vitrine intellectuelle de l’EERV pourrait baisser définitivement le rideau en 2004.

« Le Conseil synodal n’a pas encore pris de décision formelle, avertit Etienne Roulet en charge du dossier. Mais la réalité économique de l’Eglise et les mauvais résultats financiers de ce commerce nous obligent à envisager cette disparition ». Voilà plusieurs mois que les autorités de l’EERV et leurs homologues catholiques négocient avec Payot. Comme à Genève lors de la fermeture de « La Procure », le plus grand réseau romand de librairies reprendrait le stock de l’Ale en même temps que celui de « La Nef » catholique du boulevard de Grancy. Si les discussions entre les 3 partenaires aboutissent, c’est cette solution qui sera présentée au Synode (le Parlement de l’Eglise) en novembre prochain.

Ouverte en 1952, la librairie de l’Ale fut d’abord une société anonyme ayant pignon sur la grande rue piétonne de la capitale vaudoise. Un premier déménagement dans le chapelle des Terreaux, puis un second il y a dix ans dans le passage peu fréquenté de l’Ale 31 - où elle se trouve encore aujourd’hui - auront été néfastes à son équilibre financier. « Il y a 5 ans, nous avons dû éponger un passif de 300'000 francs. Depuis lors, le chiffre d’affaires a encore baissé de 20% et la librairie ne tourne que grâce à 80'000 francs de subventions annuelles », souligne Etienne Roulet. Une enveloppe d’ores et déjà amputée de 30'000 francs, puisque la Société biblique a retiré ses billes. Le reste correspond à un subside voté par la Synode pour une décennie qui se termine précisément en décembre. « Or il faut être clair, l’EERV n’a malheureusement plus les moyens de le renouveler », précise Etienne Roulet.

§Inéluctable ?Muriel Füllemann ne conteste pas la lente dégradation financière, mais évoque un emplacement particulièrement défavorable : « Lorsque nous étions encore sur la rue de l’Ale et non en contrebas, nous faisions un tiers de chiffre d’affaire en plus. Si on ajoute un marché du livre difficile et nos moyens limités, nous n’avons pas de quoi remonter la pente ». L’association des « Amis de la librairie » estime qu’il faut donner une chance supplémentaire au magasin, en prolongeant les subventions le temps de trouver un emplacement plus approprié. Irréaliste, selon Etienne Roulet. « La librairie bénéficie d’un loyer de faveur de la part de la Fondation des Terreaux, propriétaire de l’immeuble de l’Ale 31. Avec un bail tenant compte des prix du centre ville, la situation serait pire ».

Marie-Louise Regamey constate pour sa part « que l’on trouve de l’argent ailleurs, mais pas pour ce magasin qui constitue pourtant, depuis un demi-siècle, une présence extraordinaire de l’Eglise au milieu de la cité ». A demi-mots, la présidente de l’association fait référence au million de francs sur 4 ans que coûtera le futur centre culturel des Terreaux, accepté par le Synode au printemps. « Cet argent n’émarge pas à notre budget ; il est pris sur le fond des anciennes Eglises libres. D’autre part, nous avons injecté dans ce commerce en 5 ans à peu près autant que l’enveloppe allouée pour les Terreaux », rétorque Etienne Roulet.

Marché du livre en crise, arrivée de la FNAC à Lausanne qui, par contre coup, a provoqué un renforcement sensible des moyens de Payot et de la librairie Les Yeux Fertiles, sans compter de nouvelles habitudes - y compris chez les pasteurs - de commande par Internet : « Aucune librairie religieuse ne tient désormais sans subvention », rappelle le Conseiller synodal, faisant notamment référence au « Cep » de la Madeleine, financée par des fonds évangéliques. « Les Amis de la librairie » s’apprêtent à écrire aux membres du parlement de l’EERV pour les rendre attentifs à l’enjeu du débat : « Nous risquons de voir disparaître un lieu de proximité entre l’institution et les paroissiens. Il faut rappeler que nous fournissons aussi des paroisses, des groupes de catéchisme, que nous nous déplaçons lors de conférences ou des rencontres de Crêt-Bérard. La fermeture sonnerait la fin d’une aventure et de l'ouverture de l’Eglise sur la cité ». Reste à savoir s’il n’est pas déjà trop tard.