Le métissage religieux entre dialogue et méfiance

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Le métissage religieux entre dialogue et méfiance

26 septembre 2003
Le paysage confessionnel s’est largement diversifié dans le canton de Vaud comme partout en Suisse
On peut dès lors se demander si l’appartenance religieuse rapproche ou éloigne, thème d’une table ronde organisée à l’Arzilier à Lausanne sous les auspices de l’association « Vivre Ensemble ». Les religions, facteurs d’intégration ou d’exclusion ? Dans le cadre du bicentenaire vaudois s’est créée une association baptisée « Vivre ensemble » pour rappeler que l’histoire de ce canton fut aussi celle d’une terre d’immigration et de métissage. Mercredi soir à Lausanne, le comité de l’Arzilier a abordé la dimension religieuse de la question.

Pendant longtemps, Vaud compta une grande majorité protestante et une importante minorité catholique. Impossible de l’ignorer : aujourd’hui, le paysage confessionnel s’est largement diversifié. Avec à peine 40% de fidèles, ou déclarés comme tels lors du dernier recensement, – donc beaucoup moins de monde réellement actif dans les paroisses - la domination protestante appartient au passé. Bien qu’encore souvent discrètes, de nouvelles confessions – bouddhiste, hindoue, orthodoxe, musulmane – ou dénominations chrétiennes – évangéliques, adventistes, Témoins de Jéhovah notamment – sont apparues et voient parfois leurs rangs grossir régulièrement. Le nombre de mariages dont les deux partenaires affichent une foi réformée ou catholique diminuent, alors que les couples mixtes et athées augmentent.

§Effort réciproqueSelon le pasteur Martin Burkhard, président du comité de la Maison du dialogue, les communautés religieuses récemment implantées regroupent à peine 1,6% de membres de nationalité suisse. Leur présence se trouve donc intimement liée aux phénomènes migratoires. « Le défi qui consiste à ce que les croyants se côtoient dans une société pluriculturelle pose de nombreuses questions d’ordre culturel et social », rappelle Martin Bukhard. Ainsi, comme le relèvent plusieurs intervenants de tradition religieuse différente, un médecin s’intégrera toujours plus aisément qu’un chômeur, et cela quelle que soit sa croyance. De même que les paroisses chrétiennes regroupent une majorité de fidèles de plus de 40 ans, les membres des nouvelles communautés sont en moyenne beaucoup plus jeunes. Un dialogue entre elles devra passer aussi par une rencontre intergénérationnelle. « Vaud n’est pas une île et nous sommes confrontés aux répercussions des chocs vécus ailleurs », souligne pour sa part le pasteur Shafique Keshavjee.

Un autre membre du conseil de l’Arzilier, représentant le culte musulman, signale qu’une intégration ne peut exister qu’avec « un double mouvement : celui de la société qui accueille, et celui de la personne qui arrive. Sans cela, il n’y a pas de dialogue mais un double monologue ». Petit clin d’œil de la soirée, l’aumônier adventiste Thierry Lenoir explique que les choses furent sans doute facilitées pour son Eglise, parce qu'elle eut le mérite d’inventer une icône de la gastronomie helvétique, le Cénovis.

D’autre part, un consensus semble se dégager pour noter qu’entre assimilation qui souvent désintègre l’autre, et melting-pot à l’anglaise qui s’en désintéresse, le modèle de l’intégration recèle une réjouissant potentiel d’échanges et d’enrichissement mutuel, en même temps qu’il permet à chacun de rester soi-même. A condition que le migrant fasse l’effort de s’ouvrir aux coutumes et aux traditions qu’il découvre. Le chemin paraît également semé d’embûches, puisque l’intégration devient fréquemment affaire personnelle. « Il s’agit de se demander jusqu’à quel point je peux rencontrer l’autre, note ce jeune Juif d’origine marocaine. Cela demande de faire la part des choses entre des convictions qui me définissent, et des à priori ou des sentiments de supériorité qui m’empêchent de m’ouvrir. Comme le dit le proverbe, deux hommes se rencontrent plus facilement que deux montagnes ».

Au terme de cette soirée sans surprise, pas de réponse claire, mais quelques pistes de réflexion. Peu de cas concrets, aussi, et c’est dommage puisque l’actualité n’en manque pas, du débat ravivé partout en Europe sur le port du foulard, les carrés musulmans dans les cimetières, l'abattage rituel, la construction de mosquées ou la reconnaissance étatique de communautés religieuses non chrétiennes. Comme le remarque un membre du public au moment des questions, notre société tiraillée entre laïcité et fondements judéo-chrétiens ne pourra éviter un débat autour des limites de la liberté de croyance. Tout au plus s’est-on souvenu que citoyenneté et démocratie permettent chez nous la pluralité religieuse, alors qu’ailleurs, si les minorités religieuses n’ont aucun droit, c’est souvent que la majorité n’en possède guère davantage.