Licenciements chez Tamedia
Pierre Farron, pasteur et secrétaire de l’association «Chrétiens au travail» – nouveau nom, depuis le 27 octobre dernier, de l’association protestante EMDT-Eglise et Monde du Travail qui est devenue œcuménique – propose un compte-rendu d’une soirée d’échanges et de réflexion centrée principalement sur la situation des professionnels confrontés aux licenciements chez Tamedia. Deux journalistes, Cécile Collet, vice-présidente de la Société des collaborateurs de 24 heures, et Anne Kauffmann, ancienne rédactrice en chef adjointe de 24 heures ont participé à cette rencontre.
Photo: La bâtiment Tamedia de Zurich CC(by-sa) Melissanews
Après d’âpres négociations, Tamedia a légèrement revu le nombre des licenciements prévus à la baisse: 20 au lieu de 24. Et grâce à des départs et des réductions de temps de travail volontaires, cinq autres licenciements ont pu être évités à 24 heures et un à la Tribune de Genève. Il faut noter, néanmoins, que les postes restants ne sont garantis que pour une année. Dans leur édito suivant l’annonce des licenciements, les rédacteurs en chef des deux quotidiens ont voulu «positiver» en annonçant un nouveau projet rédactionnel, et une actualité présentée autrement et mieux. Ce message a mal passé auprès des collaborateurs. Il laissait entendre que les personnes qui vont être licenciées ne servaient à rien... puisqu’on va pouvoir faire mieux sans eux.
Anne Kauffmann a relevé que cette crise se situe dans le prolongement d’une évolution qui a déjà commencé dans les années 90, avec la disparition du quotidien La Suisse (1994), celle du Journal de Genève et du Nouveau Quotidien (1997), puis le rachat de la Tribune de Genève par le groupe Edipresse. A chaque fois avec de nombreux licenciements à la clé (journalistes, personnel technique, administratif). Sans parler d’autres disparitions de titres ailleurs en Suisse. Aujourd’hui, l’insécurité et la peur règnent dans ce secteur.
Dans la population, on entend souvent dire: «Avec internet, on a tout!» Oui, mais comment faire le tri dans cet océan d’informations? Ne faut-il pas, pour cela, des personnes dont l’information est le métier? C’est là aussi que le bât blesse: ce métier est souvent très mal compris. Une journaliste présente lors de la soirée disait: «les gens ne réalisent pas que la plupart des journalistes sont des passionnés! Nous finissons souvent nos journées tard le soir et nous acceptons des salaires inférieurs à ceux qui sont habituellement versés à des personnes qui ont notre formation!»
Aujourd’hui, une logique gestionnaire sans âme triomphe. 14% de baisse publicitaire cette année? Il faut donc économiser 14% sur les salaires! Pourtant Tamedia a fait 335 millions de bénéfices l’an dernier. Quant à son PDG, il a gagné 6 millions de francs (salaire et bonus), soit 2 millions de plus que les économies exigées de 24 heures et de la Tribune de Genève (4 millions).
Une logique perverse conduit à licencier des gens qui travaillent bien. Demain, si nous restons passifs, le risque d’une information à deux vitesses pourrait devenir réalité avec, d’un côté, une minorité qui pourra payer — cher — d’excellents sites et journaux et, d’un autre, une majorité exposée aux propagandes. Or, une information fiable, accessible à tous, est une nécessité pour une démocratie.
Certains diront: «on ne peut rien faire!» Ce fatalisme à la mode est trompeur, car il y a au moins deux choses à faire: reconnaître la dignité des personnes qui travaillent, en leur donnant la parole, et manifester notre propre dignité en réaffirmant nos valeurs fondamentales. C’est le projet de la nouvelle association œcuménique Chrétiens au travail.
Que diriez-vous de nous rejoindre?