Les mennonites lèvent le tabou sur leur collaboration avec les nazis

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Les mennonites lèvent le tabou sur leur collaboration avec les nazis

Ben Goossen
27 avril 2017
Durant la Seconde Guerre mondiale, certaines communautés mennonites ont soutenu le parti national-socialiste
Un passé difficile à porter qui a fait l’objet de profonds tabous.

Photo: La communauté à Fernheim © RNS/Archives de la colonie à Fernheim

(RNS/Protestinter)

Filadelfia, Paraguay (RNS) - La violence a détruit cette communauté traditionnellement pacifiste dans la nuit du 11 mars 1944. D'autant plus remarquables, les auteurs et les victimes étaient tous des mennonites. Et tous appartenaient à des factions nazies rivales. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la collaboration entre mennonites et nazis a été largement ignorée, oubliée ou intentionnellement réprimée. Au Paraguay, les membres des congrégations mennonites ont eu l’interdiction de pouvoir débattre de ce problème.

Au Paraguay et au-delà, l'épisode nazi a été tabou pour les membres de cette communauté chrétienne qui a été fondée dans l'Europe du XVIe siècle sur les principes de la non-violence et le refus de participer à la vie politique. Ce n’est qu’à partir des années 1980, alors que plusieurs pays étaient à la recherche du médecin d'Auschwitz, Josef Mengele, et que l’attention a été portée à la colonie mennonite germanophone de Fernheim au Paraguay, que ce tabou a commencé à s'affaiblir.

Maintenant, les mennonites et d'autres s’intéressent à ce passé dans une série de conférences, dont la plus récente a eu lieu mi-avril à Filadelfia, au centre administratif de la colonie. La guérison spirituelle, la réconciliation et la culpabilité ont été des thèmes importants lors de la dernière conférence intitulée «Le mouvement raciste et le national-socialisme chez les mennonites au Paraguay». Quelque 200 participants se sont rassemblés près du site où une bagarre avait eu lieu exactement 73 ans auparavant. Ils ont cherché à mettre en évidence, à contextualiser et à interpréter des événements qui restent douloureux.

Offrir une nouvelle compréhension

«Certains d’entre eux ont demandé pourquoi avoir organisé une conférence sur ce sujet plus de 70 ans après les événements», a relevé Uwe Friesen, responsable de la Société pour l'histoire et la culture des mennonites au Paraguay. Dans son discours d'ouverture, Uwe Friesen a décrit la rencontre comme «la possibilité d’offrir d'une nouvelle compréhension». L'intérêt pour ce chapitre sombre de la vie mennonite paraguayenne arrive à un moment où l'Eglise mondiale commence à découvrir une plus importante histoire de collaboration avec les nazis.

En 2015, la première conférence académique sur le sujet a eu lieu dans la ville allemande de Muenster, site de la Rébellion de Muenster de 1534, qui a été cruciale pour la fondation de la foi mennonite. Les historiens ont mentionné d'importants mouvements pronazis parmi les communautés au Canada, aux Pays-Bas, au Paraguay et au Brésil. Un quart de tous les mennonites dans le monde ont vécu sous le Troisième Reich.

La conférence de Münster a été organisée par la Société d’histoire mennonite en Allemagne - elle-même fondée en 1933 en partie pour soutenir la recherche raciste dans le nouvel Etat nazi. La présidente Astrid von Schlachta, professeur d'histoire à l'Université de Regensburg, a qualifié l'événement d’«historique». La rencontre «a amené une discussion ouverte et nuancée, dans laquelle nous avons jugé sans condamner le contexte et les expériences des mennonites pendant la période nazie», a précisé la présidente.

Une communauté germanophone

Compte tenu de la position anciennement proallemande de la communauté de Fernheim - avec l'arrivée de milliers de migrants mennonites fuyant l’Europe de l'après-guerre, y compris des criminels de guerre connus - les prédateurs nazis ont considéré la colonie comme un bon refuge pour Josef Mengele qui a finalement été retrouvé mort au Brésil. Les réfugiés mennonites d’Union soviétique se sont établis à Fernheim en 1930, recevant une aide humanitaire du gouvernement allemand. Trois ans plus tard, une majorité était exagérément élogieuse à l’égard d’Hitler.

«Avec une grande excitation, nous, les mennonites allemands du Chaco paraguayen, participons également aux événements de notre chère patrie et vivons la révolution nationale de la race allemande», ont écrit les dirigeants de la communauté dans une lettre au Führer. Les fonctionnaires nazis leur ont ainsi proposé de retourner en Europe, soulignant la prétendue pureté du sang des mennonites.

A ce moment-là, des anthropologues avaient déjà effectué des tests sur les colons de Fernheim, les trouvant plus aryens que l'allemand moyen. Quelque 80% d’entre eux étaient prêts à renoncer au pacifisme mennonite et à rejoindre le programme de «Retour au Reich» d'Hitler, une entreprise déjouée par le déclenchement de la guerre. Loin de l’Allemagne, les résidents de Fernheim n'étaient pas d'accord entre eux sur la meilleure façon de maintenir une loyauté envers les nazis.

Une lutte de pouvoir

Une lutte de pouvoir s’en est ensuivie générant une attention particulière à l'administration des colonies, un contrôle des écoles de langue allemande et l'accès au transport de retour vers le Reich. Les jeunes hommes ont saisi des fouets et des matraques et ils ont battu sévèrement six de leurs concitoyens. Les troubles ont demandé l’intervention des diplomates américains et de l'armée paraguayenne, menant finalement au bannissement de plusieurs chefs de file.

Trois quarts de siècle plus tard, Uwe Friesen espère guérir. «Il est important que nous considérions les faits, que nous analysions et présentions les événements de manière à construire la paix, en nous appuyant et en propageant notre héritage anabaptiste», a-t-elle souligné en se référant à la théologie pacifiste de Fernheim.

Les participants au symposium - qui regroupait des historiens du Paraguay, d'Allemagne et des Etats-Unis - ont convenu que les tensions locales devraient être écrites dans l'histoire. Ils ont également vu le rassemblement dans le cadre d'une conversation en cours. La discussion se poursuivra lors d'une troisième conférence, sur «Les mennonites et l'Holocauste». Programmé pour mars 2018 au Bethel College à North Newton, au Kansas, l’événement est parrainé par l’Eglise mennonite des Etats-Unis, la plus grande dénomination mennonite en Amérique du Nord.

De nouvelles preuves

De nouveaux éléments de preuve impliquent certains mennonites dans le génocide. Surtout dans l'Ukraine occupée par les nazis, les grandes communautés germanophones ont favorisé les national-socialistes comme Alfred Rosenberg et Heinrich Himmler. Les recrues locales ont renforcé les escadrons de la mort, qui ont massacré des dizaines de milliers de Juifs autour des campements.

«Les mennonites se sont généralement perçus comme des victimes de la violence dans les années 1930 et 40, en Europe», a précisé Mark Jantzen, professeur d'histoire à Bethel College. «Nous espérons que la conférence documentera et analysera une réalité beaucoup plus complexe qui place les mennonites face à tout un éventail de réponses, d'expériences et de motivations, et parallèlement beaucoup de souffrance».

Les organisateurs ont demandé des documents détaillant les cas de mennonites aidant des Juifs et d'autres populations ciblées, ainsi que ceux où les mennonites ont eux-mêmes perpétré des crimes de guerre. Les récents rassemblements en Allemagne et au Paraguay ont montré une volonté au sein des mennonites de se pardonner. «Faire la paix signifie vivre et offrir la réconciliation», a ajouté UWE Friesen lors du symposium de Fernheim.

Mais le défi plus grand et plus œcuménique est la responsabilité de l'Eglise envers les victimes du nazisme. La Conférence mondiale mennonite a récemment accepté des excuses des organes luthériens et catholiques concernant la persécution des mennonites, lors de la Réforme au 16e siècle. Les questions de culpabilité collective des mennonites - pendant la période nazie et au-delà - demeurent.