Rideau sur le Café du marché de Payerne
Le suspens a duré jusqu’à fin mars. Et puis le couperet est tombé: «À la suite à la résiliation du bail par la municipalité de Payerne, propriétaire des lieux, le comité du Café du marché a dû prendre la décision de mettre un terme à son activité», lit-on sur le site internet de l’établissement. L’annonce est signée de la main du pasteur et responsable du lieu, Patrice Haesslein. Le 21 juin prochain, plus de service au comptoir, ni même en salle, le Café du marché de Payerne fermera définitivement ses portes.
Depuis cinq ans, le bistrot de 24 places propose boissons et petite restauration du mercredi au dimanche et des événements en soirée, des conférences ou des cafés littéraires. Sa particularité: le Café du marché est exploité par l’association Les amis de la Maison de l’Abbatiale «Café du marché», et géré par le pasteur de l’Église réformée vaudoise (EERV) Patrice Haesslein, bistrotier de formation. Le Café du marché offre un espace de rencontre et d’accueil convivial, travaille au lien social, et incarne une présence de l’Église tournée vers la société. Ni l’EERV, ni la municipalité de Payerne ne remettent en question la qualité du projet et la place de l’Église dans la cité. Pourtant, la municipalité, propriétaire de la maison qui accueille le Café du marché, a résilié le contrat de bail qui la liait à l’association et a dénoncé la convention avec l’EERV pour la mise à disposition d’un espace de rencontre, mettant ainsi légalement fin au projet au 31 décembre 2019.
En effet, la municipalité a lancé un projet de mise en valeur du centre historique de Payerne, qui concerne l’abbatiale et la Place du Marché. L’édifice religieux, fermé au public depuis 2016, rouvrira au printemps 2020 à l’occasion de l’inauguration du site et du nouveau parcours muséal de l’abbatiale. Le Café du marché, lui, ne sera pas de la fête.
Derniers rebondissements
Pour servir son dessein, la municipalité avait proposé une extension du Café du marché qui devait accueillir un restaurant d’une capacité de 60 places, l’installation d’un ascenseur public et le déménagement de l’Office du tourisme, le tout estimé à 2,6 millions de francs. Mais coup de théâtre, alors que le préavis devait être soumis au vote du conseil communal le 21 février dernier, l’Exécutif l’a retiré de l’ordre du jour. «Lors de nos discussions sur le préavis, nous avons constaté qu’il y avait des points qui n’avaient pas été compris, des éléments à préciser, voire des points à retravailler. Cela touchait à la nécessité des travaux sur le Café et à leur financement, mais aussi au principe de l’ascenseur», explique Christelle Luisier-Brodard, syndique de Payerne. Une décision qui contraint aujourd’hui la municipalité à revenir avec un projet retravaillé ou inédit, sans pour autant changer le calendrier des travaux. Mais «il faut que le projet proposé s’inscrive dans une pérennisation du bâtiment. Le lieu doit être exploitable par n’importe quel exploitant», précise la syndique. Une volonté de professionnalisation et de rentabilité du lieu pour répondre à la future demande touristique. Une volonté commerciale qui ne correspond pas à l’orientation donnée au Café du marché par l’association.
Faire son deuil
Aux tables du Café du marché, on fait grise mine. «Quel gâchis!» «Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne?» «L’Église rejoignait ici différemment les gens dans leur quotidien.» La résiliation du bail reçue en fin d’année passée n’a pas été digérée par les habitués, les salariés comme les bénévoles. Entre larmes, colères et amertume «chacun doit faire son deuil», lâche Patrice Haesslein.
Le 14 mars dernier, l’assemblée générale de l’association a décidé de ne pas prolonger le supplice. Si le bail prend fin au 31 décembre 2019, le café ne passera pas l’été. Car à l’amertume s’ajoute un problème de taille, les travaux de l’abbatiale démarreront bientôt sous les fenêtres du Café du marché. Impossible d’installer la terrasse et encore moins de garantir la tranquillité présentée comme une carte de visite. Et c’est sans compter le manque à gagner pour le bistrot. L’expérience s’achève et ne sera pas renouvelée. «Difficile de faire une photocopie de ce projet. Et pour aller où?», s’interroge le pasteur.
Le 31 mars, les 6 salariés, soit 1,5 équivalent plein-temps ont reçu leur lettre de licenciement. Quant à Patrice Haesslein, il met à jour son CV. «J’ai prévenu le Conseil régional de la région La Broye de l’EERV que mon expérience dans la Broye était terminée. Je n’imaginais pas qu’un tel défi se présenterait à moi à l’aube de mes 60 ans. Mais il y a pire dans la vie.»
Une nouvelle convention
La lumière s’éteint au café, une autre s’allume dans l’abbatiale voisine. Le 25 mars, Xavier Paillard, président de l’EERV, a rencontré la municipalité de Payerne, en présence du vicaire épiscopal de l’Église catholique vaudoise pour signer la nouvelle convention réglant l’utilisation de l’abbatiale de Payerne, propriété de la commune. Depuis 1963, l’activité cultuelle est confiée à l’EERV. Aujourd’hui, la convention reconnaît que l’abbatiale, exploitée par l’Association du Site de l’abbatiale de Payerne est désormais utilisée par les paroisses réformée et catholique donnant au lieu une dimension œcuménique. Si les célébrations religieuses qui ont lieu en dehors des heures d’ouverture de l’abbatiale seront autorisées, la convention autorise désormais cinq célébrations pendant les heures d’ouverture de l’abbatiale.
La signature a aussi été l’occasion pour Xavier Paillard de transmettre les doléances de l’assemblée régionale de la région la Broye de l’EERV. «J’ai fait part, à la demande de son soutien à l’activité du Café du marché et à sa volonté de maintien de l’activité, notamment. La municipalité souhaite organiser une rencontre avec l’ensemble des acteurs, d’ici l’été, pour pouvoir dresser un bilan et clore le projet.»