Prier, cet immense travail du cœur
Il y a le monde du dehors et le monde du dedans. Le visible et l’invisible, deux réalités qui semblent parfois antagonistes. Dehors, il pleut en ce mois de novembre. Les passants sont maussades, voire vaguement hostiles quand on leur demande où se trouve «l’immeuble avec les Israéliens.» Au pied du bâtiment flambant neuf, il faut montrer patte blanche à des gardes armés jusqu’aux dents. Et puis on pousse une porte et ça embaume le gâteau au chocolat sorti du four, la tendresse maternelle, l’innocence de l’enfance. Dans le salon, des dizaines d’ouvrages religieux, une immense table de salle à manger permettant de recevoir avec abondance; et un balcon d’où l’on pourrait causer aux voisins palestiniens qui sont juste en face. Sous le regard azur de leur mère, trois petites filles créent des bracelets de toutes les couleurs.
Le fil qui relie ce dehors hostile et cet intérieur généreux, c’est la volonté de Dieu. La réaliser est tout ce à quoi aspiraient Naava, fille de rabbin d’origine française, et Samuel, né à Lausanne en Suisse, lorsqu’ils se sont mariés. Quatorze ans plus tard, leur parcours reflète particulièrement bien le projet religieux sioniste dans sa frange la plus engagée.
De Kochav Yaakov à Silwan en passant par Efrat, le couple a toujours vécu «près des Arabes», comme ils le disent. Samuel et Naava ont ainsi souvent vécu dans des territoires occupés après la guerre des Six Jours de juin 1967. Vous voulez les comprendre? Oubliez le droit international, les Conventions de Genève et ouvrez la Torah au chapitre de la promesse faite par Dieu à Moïse: celle d’une terre. Un texte que les religieux sionistes interprètent comme une injonction à instaurer la souveraineté israélienne sur tout le territoire biblique antique afin de hâter la venue du Messie.
Lorsqu’on lui demande pourquoi elle vit à Maale Zeitim — le nom israélien de son quartier, appelé Ras el-Amoud par les Palestiniens — Naava évoque certes le faible prix des appartements, la proximité avec le Mur des Lamentations et le dynamisme de cette communauté religieuse. Mais elle ajoute ensuite, dans un sourire confiant: «Et puis nous sommes des idéalistes. C’est à cela qu’éduque la religion: améliorer le monde, faire le bien. Or, vivre ici fait avancer le peuple d’Israël». Et si la majorité de ses concitoyens israéliens, peu convaincus par son projet ou craignant pour leur sécurité, ne s’aventurent pas dans son quartier, Naava l’assure: «ça va changer. Ce n’est qu’une question de temps.»
Que représente Dieu pour vous?
Il est Tout. Lorsque j’étais petite, je me l’imaginais comme un grand-père veillant sur moi depuis le ciel, mais en réalité, Dieu n’a pas d’image: on ne peut le décrire que par ce qu’Il n’est pas, et par ses attributs. Hashem (litt.: «Le Nom», terme par lequel les juifs religieux désignent Dieu) est partout, Il possède toutes les forces, Il est bon, Il m’aime… et Il me surveille (sourire).
Comment vous adressez-vous à Lui?
Je prie très tôt, sur le balcon. À l’aube, l’air est pur… Le meilleur moment de ma semaine, c’est le matin du shabbat, lorsque je peux parler à Dieu presque une heure sans être interrompue. En dehors de ces moments, je L’invoque en permanence pour qu’Il m’aide dans mon quotidien.
Prier, est-ce quelque chose de facile pour vous?
Non, pas du tout. C’est un travail, du cœur qui me demandera un effort toute ma vie parce que Dieu a de grandes attentes envers moi comme envers tout le peuple d’Israël. Ce qui m’est demandé, c’est d’être capable de prier avec autant de ferveur et de sincérité pour le monde entier que pour moi-même. Parvenir à considérer que les besoins d’Israël, des non-juifs et de tout l’Univers sont aussi importants que les siens demande des années d’étude. L’omniprésence de Dieu et sa part de Lui en nous ne change rien à l’immensité de la tâche.
Avez-vous déjà été en colère contre Dieu?
Jamais. Dieu ne nous donne que ce qui est bon pour nous: les belles choses pour nous faire apprécier la vie, les épreuves pour nous faire découvrir nos forces. Toute la difficulté, c’est qu’on ne comprend pas toujours Sa volonté, à l’image d’un enfant qui serait frustré par ses parents. Bien sûr, j’ai parfois eu de la peine à prier. J’ai perdu mes beaux-parents à quelques mois d’intervalle et nous ne parvenons pas à avoir d’autres enfants alors que c’est un grand désir. Mais j’ai confiance en Dieu, tout comme je sais qu’Il a confiance en moi. La paix que j’éprouve en élevant ma vie vers l’idéal divin me permet de relativiser les aléas de mon existence sur terre, qui est si courte.
Dis moi comment tu pries
Comprendre le réel en plongeant dans l’invisible, c’est l’ambition de la série «1 prière 1000 vérités», dont ce texte fait partie. À partir de janvier 2019, vous y lirez chaque jeudi le portrait d’un juif, d’un chrétien ou d’un musulman de Terre sainte qui se confie sur son lien à Dieu et au monde. Des entretiens proposés par «Terre sainte magazine» et Protestinfo où se disent la joie de la foi et la complexité des conflits intérieurs et extérieurs en une riche mosaïque. Un projet mené par la journaliste suisse Aline Jaccottet qui a fait du dialogue sa boussole dans l’exploration de cette région du monde éreintée par les murs.