La Bible de Moutier-Grandval de retour dans sa patrie
C’est un grand et beau livre qui a connu de nombreuses péripéties entre l’abbaye Saint-Martin de Tours, où il est né, et la British Library, où il réside désormais. La Bible de Moutier-Grandval est l’une des seules bibles médiévales enluminées de ce format. Ce témoin essentiel de la culture européenne sera exceptionnellement à découvrir du 8 mars au 8 juin au Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont.
Pour faire retourner le précieux objet sur ses terres, où il n’est pas revenu depuis 1981, dix ans de tractations auront été nécessaires puisque la première demande de l’Office jurassien de la culture date de 2015. «Nous avons expliqué l’attachement du Jura à cet objet, relate Nathalie Fleury, directrice du MJAH. Les musées accordent plus d’attention aujourd’hui au fait que certains objets ont un lien avec leur région d’origine. Mais cela prend du temps, parce que des exigences sont posées en matière de sécurité et de conservation. C’est un manuscrit fragile et important pour la British Library.»
L’exposition sera l’occasion de replacer la Bible de Moutier-Grandval dans l’histoire du livre et de la région parmi d’autres ouvrages, notamment une bible carolingienne prêtée par la bibliothèque de Saint-Gall. L’idée est également de faire découvrir aux visiteurs l’histoire de ce manuscrit, passablement romanesque.
Un ouvrage quasi légendaire
Vers 835, l’abbaye bénédictine de Moutier a besoin d’une bible enluminée. C’est probablement dans le scriptorium réputé de l’abbaye de Tours que des moines créent pour leurs confrères un manuscrit de 449 folios, réunis en un volume d’environ 51 cm sur 37 cm. Ils y font tenir l’entier de la Bible, dans la version de la Vulgate, ajoutent des commentaires de saint Jérôme, qui en est le traducteur, ainsi que des poésies d’Alcuin, un célèbre clerc mort dans leur monastère quelques années auparavant.
La Bible de Moutier-Grandval reste sept siècles dans son abbaye jurassienne. A l’arrivée de la Réforme, les chanoines déplacent leur chapitre à Delémont. C’est là que, au moment de la Révolution française, ils fuiront en la laissant derrière eux. En 1821, des enfants découvrent le manuscrit dans le grenier de la maison capitulaire, transformée en habitation. Les propriétaires, alors peu conscients de la valeur de cette trouvaille, la cèdent pour une bouchée de pain au maire de l’époque. Celui-ci la revend à un prix bien supérieur à un libraire bâlois, Henry Speyr-Passavant.
C'est dès ce moment que se construit une véritable légende autour de l’ouvrage. Speyr-Passavant réalise la portée de son acquisition et attise la convoitise de potentiels acquéreurs. Il rédige un petit livre afin de démontrer que cette bible a été réalisée par Alcuin lui-même pour Charlemagne. Le roi de France Charles X manifeste son vif intérêt et en offre 100'000 francs; malheureusement, il n’a pas les moyens de cette dépense. Speyr-Passavant se rend donc à Londres et vend la Bible de Moutier-Grandval à la British Library, où elle est toujours conservée.