«Nos espoirs reposent désormais sur le Tribunal fédéral»
Depuis bientôt presque deux ans, l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF) tente de récupérer l’accès aux données personnelles des habitants de confession réformée établis sur le territoire. Un casse-tête administratif et judiciaire, que n’a cependant pas connu l’Eglise catholique. Après avoir été partiellement déboutée à l’échelon cantonal en date du 29 juin dernier, l’institution protestante a décidé de porter l’affaire au Tribunal fédéral, en y déposant un recours le 12 septembre. Explications avec son président, Pierre-Philippe Blaser.
L’EERF a décidé de déposer un recours au Tribunal fédéral concernant l’accès aux données de la base de données Fripers. Quel est l’enjeu?
L’accès aux données FriPers est important pour que l’EERF puisse accomplir sa mission auprès des paroissiens et paroissiennes. En sa qualité d’Eglise reconnue, elle doit se montrer fiable et précise dans ses contacts avec la population et dans sa manière d’administrer. Elle est d’ailleurs dotée d’un règlement interne de protection qui a été validé juridiquement et qui garantit un usage très strict et consciencieux de ces données.
Pour le Tribunal cantonal, certaines catégories de données, dit «caractères», ne semblent pas nécessaires à l’EERF. Lesquelles vous semblent cependant essentielles?
Pour avoir des registres cohérents et complets, tous les caractères sont indispensables. Un point particulièrement important est le No AVS, qui est un identifiant unique et univoque. A préciser que ce numéro reste «caché» pour l’utilisateur, mais permet au logiciel d’introduire correctement les mutations éventuelles.
Le nom et prénom du conjoint sont également utiles, en particulier pour les couples mixtes. Par exemple, le chapitre fiscal est en général au nom du mari et, s’il n’est pas réformé, il nous est très difficile de le relier à la bonne paroissienne.
L’accès à ces données vous avait été cependant accordé en 2012. Qu’est-ce qui a changé?
En vérité, nous ne sommes pas sûrs de bien comprendre. La protection des données s’est-elle encore durcie? Pourtant, quand une personne déclare sa confession réformée à sa commune, elle indique aussi autoriser la transmission de ses données permettant à sa paroisse de communiquer avec elle. L’autorité se serait-elle arrêtée à une lecture minimaliste du travail de l’Eglise réformée, limité aux célébrations du dimanche? Nous ne le savons pas. Pourtant, chaque activité dans les domaines de l’aide caritative, la catéchèse, la visite à domicile ou en EMS nécessite un recours systématique aux listes. Même chose lors de sorties des aînés, de formations jeunesse, d’actes pastoraux ou de camps d’été: afin de ne pas commettre d’erreur et n’oublier personne.
Ces données ne peuvent-elles pas vous être transmises par les communes?
A l’heure actuelle, elles le sont, mais de manière disparate (les formats varient, parfois ces envois sont facturés, parfois pas, etc.) et surtout, de plus en plus de communes demandent aux paroisses d’utiliser la base de données informatique.
Ma collègue du Conseil synodal vient de me dire que, cette semaine encore, une commune avait refusé de communiquer des données en argumentant que la paroisse n’avait qu’à utiliser FriPers comme elle en avait le droit depuis le jugement publié récemment.
Comment comprenez-vous ce refus partiel?
Malgré nos demandes d’entretiens, nos contacts avec le Service de la protection des données aussi bien qu’avec le Tribunal cantonal ont toujours été strictement épistolaires. Une entrevue nous aurait permis de mieux faire entendre nos besoins réels et de mieux comprendre les chemins de réflexion des services de l’Etat. Nous nous voyons réduits à des hypothèses d’interprétation.
Qu’en est-il du côté de l’Eglise catholique?
L’Eglise catholique a eu accès à une cinquantaine de caractères, cependant que l’Eglise réformée en a reçu seize lors de la première demande, et vingt à la suite de la décision du Tribunal cantonal.
Parleriez-vous d’une discrimination confessionnelle?
Nous n’allons pas nous précipiter sur des termes par trop connotés. Nous savons que l’Eglise catholique a une bonne implantation dans le canton, qu’elle est culturellement mieux connue que l’Eglise réformée. Sans doute notre réseau est-il moins important.
En avez-vous parlé avec vos collègues catholiques, avec qui vous partagez de nombreuses missions œcuméniques? Et cette affaire ne risque-t-elle pas d’impacter vos relations?
Oui, nous en avons parlé; et non, cela ne va pas entacher nos relations. Notre dialogue est permanent et nous partageons aussi bien nos réussites que nos difficultés. En l’occurrence, l’Eglise catholique n’a pas été active dans cette divergence de vues, seulement l’objet d’une évaluation différente de la part des services de l’Etat.
L’enjeu derrière ces données n’est-il pas aussi, pour vous, financier? Ne serait-ce que pour assurer une répartition fiscale équitable?
La priorité est la mise à jour précise de nos fichiers de paroisses, en lien avec les nombreux mouvements qui surviennent chaque semaine, dans le but d’accomplir notre mission d’accompagnement spirituel auprès des personnes réformées. Mais bien sûr qu’un fichier à jour est une aide pour une imposition correcte.
Ces procédures ont un coût. Ce d’autant plus que le Tribunal cantonal, pour ce qui est de ce volet, a estimé les frais de votre avocat «excessifs» et a ramené «l’indemnité réduite» à près d’un tiers (5500 fr contre 13'500). Le jeu en vaut-il la chandelle?
Notre Conseil synodal a bien entendu mesuré cette corrélation. Il en a conclu que cet accès aux données était si important pour la mission des paroisses que cet effort était nécessaire. Le Synode (organe législatif) nous suit pleinement. Cela dit, en dépit des apparences, le dossier est plus complexe qu’il n’y paraît et exige des analyses touchant à des concepts juridiques fondamentaux tels que «autonomie» ou «reconnaissance».
Une décision favorable du TF à votre endroit ferait-il tomber aussi la facture, ou la soulagerait-elle?
Une telle décision soulagerait peut-être la facture, mais la réponse portant sur le contenu reste ce qui compte le plus pour nous.
Avez-vous bon espoir d’obtenir une fin favorable pour l’EERF?
Être une Eglise reconnue engendre non seulement des droits mais aussi une liste importante de responsabilités. C’est pour que l’équilibre entre les deux soit garanti que nos espoirs reposent désormais sur la plus haute instance judiciaire.