«Westworld»: De la sexualité des robots et de la nature de l'âme
Normalement, HBO ne produit pas de séries dramatiques sans qu’elles soient subtilement pimentées. Mais aussi troublantes que soient certaines scènes, la série soulève des questions théologiques sur ce que signifie le fait d’être un humain et ce qu’il en coûte de sacrifier son humanité pour un instant de plaisir.
«Cela renvoie une image noire de la société», a expliqué au quotidien le Los Angeles Times Evan Rachel Wood, qui joue Dolores, le robot principal dans la série. «Mais je pense que les spectateurs verront également le potentiel que nous possédons. Nous ne sommes pas encore à Westworld; ceci pourrait être un récit de mise en garde». La série dont la première saison s’est terminée le 4 décembre 2016 aux Etats-Unis, est basée sur le film dont le scénariste n'est autre que le romancier Michael Crichton, bien connu pour ses textes de Science-fiction. L’acteur Yul Brynner, décédé en 1985, y tenait le rôle de «l’homme en noir», joué par Ed Harris dans la série. Dans les deux versions, des clients nantis paient d’importants forfaits pour évoluer dans un monde qui relève su western-spaghetti et dans lequel ils peuvent assouvir toutes leurs pulsions et pour cause : ils évoluent dans un parc d'attraction géant dans lequel ils ne peuvent pas se blesser ou mettre en danger la vie d'être humains.
Dans la série – qui s’éloigne largement du film original –, les robots à l’apparence humaine qui agissent en tant qu’hôtes du parc commencent à se souvenir de la souffrance qu’ils ont endurée de la part des humains et s’interrogent sur leur sort tout en cherchant à s’enfuir. Et c’est là que la série passe de l’évasion futuriste fantastique à une réflexion plus philosophique.
Le robot, cet animal moral
«Ce qui peut déranger dans la série, c'est que les machines se rapprochent tellement des êtres humains qu'il devient difficile de faire la différence – pas seulement au niveau de l’intellect et de l’apparence, mais aussi au niveau moral», analyse Tony Prescott, neuro-scientifique cognitif et directeur d’un centre de robotique à l’Université de Sheffield, à propos de Westworld dans le magazine en ligne The Conversation.
«En présentant une autre vision de la condition humaine à travers le miroir technologique des robots vivants, Westworld nous fait réfléchir au fait que nous sommes peut-être également des machines sophistiquées, quoique biologiques.» A propos de la biologie, la série aborde la question de la théorie de l’affect, qui touche aussi à la religion: ce nouveau champ d’études essaie de déterminer si les humains et les animaux sont biologiquement programmés pour exprimer certains affects, parmi lesquels... la religion.
Ken Chitwood, chercheur en science des religions de l’Université de Floride, a déclaré que Westworld aborde la théorie de l’affect dans le sens qu’on s’y demande si les robots, créés par les humains pour leur ressembler et se comporter comme eux, doivent être traités comme s’ils l’étaient vraiment. «Les êtres humains sont-ils si spéciaux», s’interroge-t-il. «Sont-ils uniques au monde, sommes-nous supérieurs ou égaux aux animaux qui se trouvent autour de nous? Nous refusons cette hypothèse parce que nous croyons avoir été créés à l’image de Dieu.Westworld nous incite à réfléchir: les non-humains peuvent-ils avoir une âme, et comment cette âme est-elle reliée à notre biologie?» Jusqu’à présent, la série n’a pas répondu à cette question ni à aucune des questions morales et théologiques que la série soulève.. dont la principale: quel est le prix à payer pour accéder à un espace sans jugement, où toute sorte de péchés et d'atrocités allant du meurtre au viol peuvent être commis?
Là où tous les péchés sont permis
«C'est bien ce qui attire qui attire les gens», explique Ken Chitwood. «Qu’il y ait ce lieu fou où les gens peuvent faire ce qu’ils veulent aux hôtes, y compris tous ses “péchés”. La série débat de la question: “si on le fait à un robot, est-ce que c’est mal?”, mais personne ne se demande “En premier lieu, n’est-il pas inconvenant de faire ces choses-là, tout simplement?” Quels effets peuvent avoir ses actes sur nos propres âmes.»
Bill Brimer et James Cleland ont pointé leur viseur théologique sur Westworld. Les deux hommes sont responsables à l’Eglise SoutThirst dans le nord du Texas. Ils produisent un podcast appelé «God Geek» qui traite de la religion dans les bandes dessinées, à la télévision, dans les films et autres médias. Pour eux, cette série soulève des questions sur la nature du péché: sommes-nous pécheurs par nature, comme le comportement atroce des nouveaux arrivants dans le parc envers les hôtes le suggère? Ou bien sommes-nous déchirés entre le péché et la pulsion à faire le bien, comme semble le suggérer le personnage de William?
«Je ne dirais pas que je suis complètement d’accord avec le point de vue adopté par la série, mais elle montre qu'au fond de lui-même, l’homme est par nature un pécheur», analyse James Cleland, joint par téléphone, alors qu’avec son acolyte Bill Brimer, ils préparaient leur émission sur Westworld. «Dans quoi tombons nous quand on nous libère des lois et qu’on nous laisse carte blanche? Le péché! Le parc d’attractions dans son entier est bâti sur cette promesse et inévitablement chaque nouveau visiteur finit par déraper sérieusement.»
Pour James Cleland, la série propose une description assez de l'humanité avant l'arrivée du christianisme: «Ce que je trouve intéressant, c’est que justement dans le monde dans lequel nous vivons, les canailles peuvent amasser beaucoup de biens, de puissance et d’argent, tout comme cela se passe dans la série», analyse-t-il. «En attendant le retour du Christ, le mal semble avoir pris le pouvoir.»
Les créateurs de la série, le couple Jonathan Nolan et Lisa Joy, semblent avoir conscience du paysage philosophico-religieux qu’ils exploitent, même s’il n’y a aucun indice laissant présager qu’ils y répondent prochainement dans la série. «Le programme essaie d’avoir le beurre et l’argent du beurre», reconnaissait Lisa Joy interrogée par le site Deadline Hollywood. «Mais nous sommes à l’aise avec ce paradoxe.»