Plonger dans les détails de l’histoire de la Réforme à Genève
«Les sources historiques qui décrivent l’impact de la Réforme à Genève sont absolument extraordinaires, notamment car la ville n’a pas vécu de guerres ou des grands incendies. Sur le plan des registres du Consistoire par exemple, seul Nîmes possède un patrimoine équivalent en Europe», lâche Anouk Dunant Gonzenbach, archiviste aux archives d’Etat et commissaire de l’exposition «Coté chaire, côté rue. La Réforme à Genève, 1517-1617» présentée jusqu’au 15 décembre 2017, à l’Ancien Arsenal. Ce sont les archives du consistoire de l’Eglise protestante datant de 1542, celles de la Compagnie des pasteurs établies en 1546 et le registre du Conseil – équivalent du Conseil d’Etat – instauré en 1409 qui ont rendu cette exposition possible. Ces sources décrivent sans discontinuité, la politique, la religion et le quotidien des habitants de Genève.
Et alors que tous les documents sont consultables sur demande, en 2011, l’Eglise protestante de Genève soucieuse de la pérennisation de ses archives – en dépôt aux Archives d’Etat – a réuni en collaboration avec les Archives d’Etat un fonds privé pour numériser les 182 volumes originaux et les mettre à disposition sur internet. «Cette réalisation constituait une magnifique opportunité d’exposition et dans le cadre du Jubilé, nous avons souhaité faire découvrir cet héritage au public», ajoute Anouk Dunant Gonzenbach.
Le triomphe de Calvin
Ainsi, l’exposition divisée en trois temps aborde l’impact de la Réforme sur la vie collective. «De 1517 à 1555, la ville était encore dans l’incertitude face à Calvin ou Zwingli. Dès 1555, Calvin triomphe et tous les clichés disciplinaires du protestantisme émergent. Puis, la situation se normalise progressivement à partir de 1575», résume le professeur d’histoire et d’anthropologie des christianismes modernes, Christian Grosse, également commissaire d’exposition.
Si une partie des documents décrivant cette période sont exposés dans une série de vitrines aux Archives d’Etat, un site internet destiné notamment aux enseignants propose d’aborder la Réforme de façon accessible, en se fondant sur un plan de la ville pour comprendre où ont eu lieu les différents événements. «L’objectif se situe vraiment sur le plan pédagogique. Ce site est un instrument permettant aux profs de présenter de façon ludique la Réforme à leurs élèves. Nous sommes dans une société plurielle qui n’a pas forcément un rapport d’héritage avec la Réforme. Cette exposition permet de se réapproprier cette histoire et de la mettre en rapport avec notre histoire personnelle», explique Christian Grosse.
Les grands changements instaurés par la Réforme
Grâce aux multiples sources historiques, l’exposition met en évidence les principaux changements qui ont eu lieu entre 1517 et 1617. «La Réforme modifie de façon évidente la forme du culte et le sens de l’espace liturgique. Les Genevois n’ont pas construit immédiatement de nouvelles églises, ils ont donc utilisé les églises catholiques en les réaménageant en fonction des nécessités du culte réformé. Par exemple, les autels sont supprimés ainsi que la séparation entre les fidèles et le clergé à l’intérieur des édifices, créant un espace unifié. Dans le culte réformé qui se déroule en français, il y a une véritable participation des fidèles essentiellement par le biais du chant. L’ensemble des 150 psaumes est traduit en langue vernaculaire», analyse le professeur.
Un autre effet de la Réforme concerne les registres de paroisse, qui deviendront l’état civil après la Révolution. «Dès le 16e siècle, il y a des corpus continus de registres des baptêmes, des mariages et des morts. Mais dans les registres de baptême, les individus sont enregistrés comme chrétiens, c’est-à-dire qu’on ne marque pas la date de naissance, mais la date de baptême, signifiant qu’on existe vraiment qu’à partir du moment où on rentre dans l’Eglise. Ainsi, l’état civil raconte l’histoire d’une communauté de salut, le passage sur terre des hommes qui font l’Eglise. Toutefois dès le dernier quart du 16e siècle, la date de naissance est ajoutée», relève Christian Grosse.
Par ailleurs, la Réforme engendre une lutte féroce contre les pratiques catholiques prodiguant dès 1555 un contrôle étroit sur la société. «Par exemple, les catholiques baptiser les enfants mort-nés pour que leur âme n’erre pas entre les limbes et l’enfer. On présentait l’enfant devant une image miraculeuse et un prêtre pouvait constater un signe de vie, car il y en a chez tous les cadavres - suée, saignement, changement de couleur – et le religieux faisait un baptême d’urgence. Et alors que cette pratique est prohibée par la Réforme, des parents d’enfants mort-nés se rendent à Saint-Claude dans le Jura où cette cérémonie était encore en vigueur».
D’autres impacts concernent directement la vie quotidienne, notamment les tavernes. «En 1546, un grand édit vise à réformer les tavernes en lieu de discussion de la Bible et de prière. C’est vraiment une utopie de la Réforme. Les autorités pensaient pouvoir transformer l’homme en une espèce de chrétien pratiquant 24h sur 24h. Elles ont obligé tous les taverniers à acheter des bibles et forcé les personnes qui consommaient à prier avant et après le repas ainsi qu’à discuter de sujets bibliques. Cela a duré un mois. Après, cet édit a été abrogé», sourit Christian Grosse. La répression judiciaire a également été durcie, «en réintroduisant notamment la noyade des sodomites, une pratique qui n’avait pas vraiment été supprimée, mais qui n’était pas exécutée».
La population double en 10 ans
Les différents registres ont aussi permis de constater une explosion du nombre d’habitants à Genève. «A l’époque de la Réforme, la population de Genève double en 10 ans, passant d’environ 15'000 à 30'000 personnes. Ce sont majoritairement des protestants français qui viennent se réfugier dans la cité de Calvin. L’impact social est gigantesque. Des registres vont être mis en place pour s’assurer qu’il s’agit bien de protestants et non pas d’espions. Toutefois entre le début et la fin du 16e siècle, le nombre d’habitants est quasiment équivalent, principalement à cause de la peste qui a tué plus de 6000 personnes à Genève», relève encore le chercheur.