Par crainte du scandale, les réformés verrouillent la comm’

Pawel Czerwinski/Unsplash
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Pawel Czerwinski/Unsplash

Par crainte du scandale, les réformés verrouillent la comm’

15 mai 2024

La suppression envisagée du journal Réformés est un symptôme d’un phénomène inquiétant : les responsables d’Eglises contrôlent de plus en plus étroitement leur communication et leur image. La crise des abus sexuels y est pour beaucoup.  

Voilà une décision stratégique pour le moins préoccupante. La Conférence des Eglises réformées (CER) songerait à interrompre la publication du journal Réformés. Depuis plusieurs mois, en effet, l’organe qui rassemble les exécutifs réformés romands cherche à réaliser des économies dans le secteur des médias protestants, qu’il finance avec le denier du culte.

Pourquoi en arriver là ? L’argument des chiffres ne tient pas : tuer un journal qui touche la moitié des protestants pratiquants et presque un tiers des distancés (selon une récente étude mandatée par la CER elle-même) serait absurde si l’on se souciait de l’efficacité des moyens investis pour assurer la visibilité des Eglises.

Or, de toute évidence, la question n’est pas de savoir si Réformés et les médias confessionnels remplissent leur mission. La question est de savoir comment. Les effectifs s’effondrent, les revenus également, et au moment de revoir les finances, on préfère manifestement que l’argent restant ne serve pas à payer des journalistes qui critiquent à loisir et font entendre d’autres voix que celle des hautes sphères. Préférons les communiqués lénifiants, ils permettent de se prémunir contre les questions gênantes – c’est bien connu.

Sur les abus, prière de se taire

Or, les questions gênantes ont tendance à s’accumuler depuis quelques temps. En effet, le repli observé chez les responsables réformés semble s’accentuer dans un contexte où ils devraient justement adopter l’attitude inverse : le scandale naissant des abus sexuels et spirituels. Craignant la coulée de boue qui a déjà sérieusement entaché l’Eglise catholique, certains paraissent se réfugier derrière une communication cadenassée et déploient des efforts considérables pour composer une image lisse et uniforme.

Début octobre, le Conseil synodal de l’EERV adoptait une directive sur le processus de contacts avec les médias : « toute personne en Eglise réformée vaudoise» approchée par un journaliste (donc pas uniquement les salariés, mais potentiellement n’importe quel fidèle) doit consulter le service de communication. S’il s’agit d’une « question polémique ou sensible », il ou elle n’a pas le droit de répondre : le Conseil synodal s’en chargera. On note que cette directive date de quelques semaines après la publication de l’enquête zurichoise dans les archives des diocèses suisses… Et qu’elle a été adoptée au moment où le Conseil synodal était sollicité pour un article du journal 24 Heures où s’exprimait une victime d’abus dans les milieux réformés.

Même refrain à l’échelon national. Lorsque ont été présentés les résultats de l’enquête sur les abus dans l’Église protestante allemande, fin janvier, l’Église réformée de Suisse (EERS) s’est fendue d’un ordre de marche à l’attention des pasteurs et diacres : si les médias vous sollicitent au sujet des abus, renvoyez-les au service de communication de la faîtière. La Conférence des évêques suisse n’a pas osé en faire de même en prévision de la sortie de l’enquête dans leurs propres archives.

Faire la lumière... sauf dans les archives

Quant au projet d’enquête dans les Eglises réformées de Suisse, annoncé à la fin de l’année dernière, on reste, encore, sur la désagréable impression d’une certaine opacité. En décembre, Rita Famos, présidente de l’EERS, déclarait vouloir faire toute la lumière sur le passé. En janvier, elle se référait explicitement à une enquête dans les archives. Mais fin avril, on apprenait qu’il s’agirait en fait d’une enquête en population générale sur la thématique des abus sexuels... dans toutes les sphères de la société.

Pourquoi n’est-il plus question de fouiller les placards à la recherche des cadavres ? « Nous avons une structure fédérale composée de 25 Eglises membres, expliquait la présidente à la NZZ. Le traitement des dossiers serait donc bien plus complexe que chez les catholiques. » On comprend mal pourquoi, puisqu’une décision d’ouvrir les archives serait de fait contraignante pour tous les membres si elle était adoptée par le Synode de l’EERS.

Alors qu’est-ce qui pousse les réformés à offrir gracieusement à la Suisse (1,6 millions de francs, quand même !) une étude globale sur les abus sexuels ? Difficile de penser qu’ils sont les mieux placés pour fournir une expertise en la matière, eux qui refusaient de reconnaître leurs problèmes il y a encore quelques mois... Cependant, en choisissant cette manière de procéder, les Eglises peuvent s’éviter de rendre publics l’éventuel caractère systémique des abus en milieu protestant et la responsabilité des hiérarchies qui auraient protégé les agresseurs.

Et la transparence, alors ?

Tous ces éléments sont alarmants. Il me semblait que l’information libre et la culture du débat faisaient partie intégrante du protestantisme suisse, valeurs garanties par ses structures calquées sur celles de la démocratie parlementaire. Il me semblait que la liberté de parole au sein de cette confession prenait racine dans la Réforme elle-même. Il me semblait que rechercher une vérité complexe et jamais complètement acquise relevait de la plus pure tradition biblique.

Il n’y a qu’une conclusion à tirer : les responsables romands et suisses ne comprennent ni leur tradition ni le monde dans lequel ils vivent. Une Eglise ne peut pas agir uniquement en fonction de sa communication, et se laisser dicter dans sa conduite par la crainte du regard de la société. Elle ne peut pas non plus s’attendre à ce que personne n’aille remettre en question l’image qu’elle donne d’elle-même. Après les enquêtes chez les catholiques suisses et les protestants allemands, les réformés sont sur le radar de tous les médias.

Les Eglises cantonales et l’EERS, encore largement tributaires de l’argent public, doivent d’urgence comprendre que la transparence n’est pas optionnelle en démocratie. Sans quoi les journalistes, puis l’opinion publique, risquent fort de leur donner une douloureuse leçon.

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