«Valeurs chrétiennes» et identité suisse, attention danger!
Noriane Rapin, stagiaire, revient sur la notion de «valeurs chrétiennes» dans le débat public ces derniers mois.
Photo: Femme musulmane en prière au bord du lac, à Genève. Diegofornero CC(by-nc-sa)
Ce mois de novembre aura eu le mérite de nous montrer ce que signifiaient les valeurs chrétiennes pour l’Occident d’aujourd’hui. Edifiant! Donald Trump, aux Etats-Unis, s’est ouvertement opposé à l’immigration des musulmans tout en promettant, paradoxalement, de défendre la liberté religieuse. François Fillon, en France, a remporté les primaires de droite: totalement inattendue, cette victoire s’explique sans doute par ses prises de position conservatrices ainsi que par son engagement à défendre la famille, à exercer une autorité stricte sur les musulmans… et à respecter l’Eglise catholique.
En Suisse, un sondage mené pour Le Matin dimanche et la Sonntagszeitung a récemment révélé que pour 80% des Suisses, les valeurs chrétiennes font partie de l’identité de ce pays. On apprend plus loin qu’environ 60% des sondés considèrent que l’islam n'appartient pas à la Suisse et refuseraient que cette religion soit officiellement reconnue au même titre que le christianisme et le judaïsme. En d’autres termes, pour une majorité appréciable de nos concitoyens (et pour les ¾ de ceux qui ont plébiscité les valeurs chrétiennes helvètes), quand on est suisse, on est chrétien et pas musulman.
Mais n’allez surtout pas croire que les valeurs chrétiennes sont celles qui sont défendues par les Eglises, pauvres insensés! L’UDC, qui selon le sondage compte un nombre écrasant de loyaux chrétiens, vilipendait dans son programme 2011-2015 «les prises de position unilatérales et gauchisantes des fonctionnaires ecclésiastiques», tout comme «l’attitude couarde et intimidée de certains (…) représentants de l’Eglise». Un constat que ne devrait pas renier Gerhard Pfister, président du PDC, qui affirmait cet automne que «l’islam n’appartient pas à la Suisse» en réponse à Angela Merkel qui avait eu la sacrilège outrecuidance de prétendre le contraire pour l’Allemagne. Si ce Monsieur souhaite manifestement lever le doute sur la signification de la dernière lettre de l’acronyme de son parti, sa position ne concorde à ma connaissance avec aucune déclaration officielle des autorités catholiques.
Permettez-moi maintenant quelques considérations personnelles, puisqu’en tant que théologienne, j’ai une vague connaissance du dossier (malgré mon engagement dans une Eglise qui dénote certainement ma couardise...). Il est totalement banal de rejeter la dernière vague d’immigration, aussi pour des motifs religieux. 80% des Suisses revendiquent des valeurs chrétiennes, très bien, mais combien d’entre eux s’en sont souvenus au moment où on leur demandait leur avis sur la présence de l’islam en Suisse? Quelle ironie que les gardiens autoproclamés de ces valeurs contestent les Eglises, pourtant dépositaire de la foi chrétienne et bénéficiant d’une expertise pluriséculaire. Or la religion chrétienne se pervertit gravement lorsqu’elle devient, malgré les protestations des croyants, un critère pour définir une identité nationale et qui doit en être exclue, car c’est bien de cela qu’il s’agit en l’occurrence.
Mais peut-on vraiment parler de valeurs chrétiennes sans évoquer l’hospitalité? Non, à moins de réécrire des pans entiers de la Bible. «J’étais étranger et vous m’avez accueilli», dit Jésus (Matthieu 25,35). Une chimère de gauchiste, dites-vous? Non plus. Notre pays s’est construit grâce aux réfugiés: les huguenots, par exemple, ont amené en Suisse leur savoir-faire en matière de mécanique, ce qui a permis de développer l’horlogerie. Plus récemment, les immigrés italiens, portugais et espagnols ont largement contribué à l’essor de notre économie. Et c’est encore sans compter la tradition humanitaire de la Suisse! De même, peut-on parler de valeurs chrétiennes sans évoquer l’humilité, le refus de la fatalité ou l’amour du service? Non, non et encore non!
C’est étrange, j’ai beau être chrétienne et pratiquante, il ne me viendrait jamais à l’idée que l’Islam, en la personne des musulmans de Suisse, puisse constituer une menace pour ma propre pratique religieuse ou pour certains acquis (telles la liberté de conscience ou l’égalité supposée des sexes). Il va bien falloir se faire à l’idée que la majorité des musulmans de ce pays ont la nationalité suisse ou vont l’obtenir. L’islam appartient donc de fait à la Suisse, qu’on le veuille ou non, et la seule question qu’il convient de se poser, c’est: «Comment va-t-on vivre ensemble le mieux possible?»
Chers compatriotes, je vous assure que ni l’islam, ni l’athéisme, ni aucune autre religion ne menacent les valeurs chrétiennes: seuls les chrétiens peuvent les corrompre, en trahissant cet héritage, en méprisant leur tradition spirituelle et en cédant à la peur de l’inconnu.