Tempête valaisanne: L'enseignement religieux scolaire au risque de la laïcité

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Tempête valaisanne: L'enseignement religieux scolaire au risque de la laïcité

2 octobre 2003
En Valais, l’abandon dans les classes d’un catéchisme catholique au profit d’une pédagogie laïque ne visant pas la conviction de foi, mais la connaissance de la Bible en même temps que des autres traditions, suscite une bruyante levée de boucliers
Au delà de la polémique, ce sont deux conceptions de la place du fait religieux à l’école qui s’affrontent. Enquête. Cette année, les écoliers valaisans découvrent un véritable programme d’enseignement religieux. Une vraie révolution dans ce canton et l’aboutissement d’un long chemin de croix. Mais aussitôt arrivés en classes de 3e et 4e années primaire (lire encadré), les deux ouvrages édités par l’Enseignement biblique et interreligieux romand (ENBIRO) créent une vive polémique.

« L’accueil est généralement très favorable en Suisse romande, même en Valais », assure Sabine Girardet, co-responsable de la publication. Sur place, le chef du Service de l’enseignement Jean-François Lovey confirme : « A ma connaissance, la plupart des témoignages dénote une large satisfaction ». Il n’empêche. jos_content de presse, émission radiophonique, déclarations critiques du porte-parole de l’évêque, et il y a quelques jours lancement d’une pétition par un petit comité qui exige le retrait des nouveaux manuels : les critiques font grand bruit. Sur fond de période électorale, l’affaire prend même une tournure politique avec l’appui déclaré de certains candidats valaisans au Conseil national.

Au delà de cette controverse, que le gouvernement valaisan espère rapidement étouffer par un communiqué d’apaisement signé en commun avec l’évêque Mgr Brunner, ce sont bien deux conceptions de la place du religieux à l’école qui s’affrontent.Jésus, fils de DieuTout a commencé par un article du Nouvelliste, relayé par le Matin Dimanche. Le journaliste Vincent Pellegrini, papa d’un enfant de troisième primaire, y explique avoir décidé que son fils de 8 ans ne suivrait pas le nouveau cours sur les religions. En même temps que d’autres parents, il s’avoue choqué dans ses convictions chrétiennes, dénonçant la perspective culturelle et par trop laïque de la méthode. « Je ne reconnais plus le christianisme dans ce manuel où il n’y a même pas d’indication claire de la divinité de Jésus », explique le rédacteur valaisan dans les colonnes du quotidien dominical.

Bernard Broccard, porte-parole de Mgr Brunner, prend le même exemple pour souligner la grogne de l’Eglise catholique : « La perspective est uniquement ethnologique et sociologique. Il y manque un regard théologique ». Pour le chanoine, affirmer avec force que Jésus est considéré comme le fils de Dieu par les chrétiens, et évoquer la virginité de Marie ne consiste pas à faire de la catéchèse : « Ce sont des éléments essentiels de notre dogme qui appartiennent clairement au domaine de la connaissance ». Lorsque l’évêché évoque une présentation « horizontale » où les éléments de la foi chrétienne sont mis sur un même plan que ceux de l’islam ou du bouddhisme, il dénonce en fait une ouverture prématurée à d’autres religions. Indiquant que dans certains villages, de nombreuses classes sont encore composées uniquement de catholiques, Bernard Broccard doute ainsi « que l’apport chrétien des moyens d’ENBIRO soient réellement suffisants pour aider les enfants à découvrir leur propre tradition ». D’ailleurs, de manière générale, « est-il judicieux de présenter à des enfants de cet âge plusieurs religions alors qu’aujourd’hui ils ont déjà tant de peine à s’enraciner dans la leur ? ». Oui, répond sans ambiguïté François-Xavier Amherdt abbé de Sierre et auteur, qui a assuré la relecture d’une partie du matériel : « Un espace de connaissance mutuelle au sein de l’école laïque correspond à la réalité sociologique actuelle ».

De son côté, l’éditeur romand ENBIRO tient à sa perspective à la fois biblique et interreligieuse : « Notre approche est celle de la connaissance, pas de la conviction. Dans une société comme la nôtre, il nous paraît évident qu’il faut évoquer les autres religions dans les petites classes déjà», souligne Sabine Girardet.

Dans la préface de la méthodologie du premier volume, le président d’ENBIRO Claude Schwab explique pour sa part que si l’on peut apprendre la signification d’une croyance sans la partager, l’institution scolaire ne saurait « enseigner la portée de la croix sur le statut de l’humanité ou le caractère définitif de la prophétie de Mohamed. Elle rappellera que, pour une grande partie de la tradition chrétienne, la mort de Jésus signifie le pardon de Dieu offert à l’humanité et que pour les musulmans, le Coran, transmis par Mohamed, constitue la révélation dernière ». Ainsi, pour le Vaudois, dans un système scolaire laïc, « l’école publique a pour mission de transmettre des connaissances avec rigueur et honnêteté en s’abstenant de tout prosélytisme ». Par ailleurs, les auteurs réfutent l’argument selon lequel le christianisme n’occupe pas une place suffisante : « Les aspects de notre patrimoine judéo-chrétien représentent un bon trois quart des deux volumes de ce cycle », précise Sabine Girardet.Réactions traditionalistes sous estiméeJean-François Lovey a présidé la commission chargée de réfléchir à un plan d’études, d’en définir les objectifs et le programme. « Il faut se souvenir que jusqu’à maintenant, le Valais ne connaissait aucun enseignement religieux élaboré pédagogiquement ». Certains enseignants s’inspiraient d’un matériel disponible ailleurs. D’autres faisaient venir un catéchiste ou un prêtre. Un « flou » durable largement dénoncé par la grande majorité des professeurs et des parents.

Les discussions ont duré plus de deux ans au sein de ce groupe de travail. Et si l’évêché a fini par donner son accord en même temps que les représentants de la minorité réformée, ce n’est pas sans réticences de voir le catéchisme bouté hors des préaux. D’ailleurs, le oui catholique s’est assorti d’une importante condition, la diffusion de compléments pédagogiques. Intitulée « La Vie des chrétiens », ladite brochure insiste sur certaines fêtes religieuses typiquement valaisannes comme la Fête Dieu et la Saint-Maurice, ou encore sur des aspects de la vie catholique locale. Une sorte de concession devant la volonté commune d’une approche laïque ? « On peut le voir comme cela, concède Jean-François Lovey. Mais pour ma part, il me parait évident que la transition entre un enseignement de type confessionnel et un programme à volonté culturelle ne pouvait se faire sans autres en Valais ».

En mai 2001, enfin, le gouvernement a adopté objectifs et moyens du programme, en accord avec les deux Eglises chrétiennes officiellement reconnues. Pour l’inspectrice scolaire Marie-Madeleine Luy, qui fut également membre de ladite commission, les réactions épidermiques ne concernent qu’une « minorité bruyante » : « Tous les enseignants que je rencontre se disent satisfaits. C’est aussi vrai du côté des parents, même si ces derniers n’ont sans doute pas été assez informés ». Jean-François Lovey la rejoint : « Nous avons sans doute minimisé l’attachement de certains, et notamment de milieux traditionalistes proches d’Ecône, au catéchisme scolaire. De manière générale, nous avons peut-être négligé d’anticiper la réaction de certains parents ». Le chef de service note que l’évêché se voit sans doute confronté au même problème de communication interne face à une partie de ses collaborateurs peu enclins à se voir relégués dans leurs paroisses.