En faisant l'éloge du temps perdu, une théologienne réhabilite le Shabbat

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En faisant l'éloge du temps perdu, une théologienne réhabilite le Shabbat

1 octobre 2003
A se laisser submerger par le travail, à se jeter dans mille et activités par peur d’affronter ses angoisses existentielles, on passe à côté de soi, estime Yolande Boinnard, qui fait l’éloge du temps perdu dans un ouvrage consacré au Shabbat
Elle y réhabilite la rêverie, revendique le droit à l’ennui, invite au lâcher-prise. Ne rien faire, c’est bien faire : la théologienne vaudoise, spécialisée dans la formation d’adultes, prend résolument le contre-pied de l’esprit du temps qui prétend que s’agiter, c’est exister, qu’avoir un agenda bien rempli, c’est compter pour les autres. Elle ne se lasse pas d’encourager chacun à prendre le temps de déployer ses émotions, de s’adonner à la contemplation, qui peut apporter une forme d’apaisement. Tout a commencé en1982, quand elle craque d’un trop-plein d’activités, de travail, de culpabilité de ne jamais en faire assez. Elle décide, sous le coup de l’urgence, de s’octroyer une année sabbatique à Jérusalem, y apprend l’hébreu et s’attache à rechercher dans les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament le sens du Shabbat, ce jour offert par Dieu à tous les hommes sans distinction, pour se reposer et reprendre haleine. Depuis, elle a faite sienne la Règle de la Communauté des Diaconesses de Reuilly à Versailles: « Prendre le temps de vivre amicalement avec soi-même ». Elle complète : «Contempler sa vie, reprendre contact avec qui l’on est, se tenir dans sa vérité ».

Elle a longuement interrogé les textes bibliques sur le sens du Shabbat et s’est inspirée de l’œuvre de psychanalystes, de philosophes, de sociologues ainsi que de la littérature juive, pour plaider un retour à un jour de repos véritable, invitation à un cheminement spirituel.Don et loi tout à la foisDieu sanctifie le 7e jour et en fait un jour particulier voué au repos, à l’abandon confiant dans les mains de Dieu. « Le Shabbat est un don gratuit offert aux humains en même temps que l’existence », commente Yolande Boinnard. Don et loi tout à la fois, le jour du repos fait l’objet d’un commandement qu’on retrouve dans divers ensembles législatifs du Pentateuque et qui est adressé aux esclaves comme aux hommes libres, aux plus opulentes comme aux plus démunis. Tous ont droit au travail et au repos. Six jours suffisent pour mener à bien toute le travail nécessaire à la vie matérielle. Voilà qui résonne comme une confession de foi. Une façon aussi de mettre des limites à l’asservissement sous toutes ses formes. Le Shabbat concerne aussi les animaux domestiques. Le Shabbat institue l’égalité fondamentale de tous les humains.Jésus rompt le Shabbat Jésus a rompu le Shabbat en accomplissant de nombreux miracles ce jour-là. Il s’est heurté à une observance rigide, refusant que le Shabbat soit un obstacle à la miséricorde et à la sollicitude de Dieu. « Qui d’entre vous, demande Jésus après avoir guéri un homme à la main paralysée, ne sort du puits un jour de Shabbat la brebis qui y est tombée ? »

Les quatre Evangiles donnent du Shabbat des éclairages différents, mais tous associent le septième jour à la liberté retrouvée, où femmes et hommes retrouvent leur dignité. Yolande Boinnard rappelle tout au long de son livre que le Shabbat invite les hommes à accueillir dans la confiance l’amour dont Dieu veut les combler, un amour que nul n’a besoin d’acquérir par son travail, ses performances ou son obéissance. Le temps perdu, Yolande Boinnard, 366 pages, 2003, éd. Labor et Fides.