Israël/Palestine: Chronique d’un dialogue de sourds "Le vrai défi serait d'accepter l'Autre"

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Israël/Palestine: Chronique d’un dialogue de sourds "Le vrai défi serait d'accepter l'Autre"

29 septembre 2003
Journaliste et photographe indépendante, Flore de Préneuf a passé 4 ans à Jérusalem
Elle nous livre aujourd’hui sa « Chronique d’un dialogue de sourds », faite d’instantanés photographiques et de notes rédigées au fil de ses pérégrinations dans un climat tendu, saturé de malentendus, de haine, de violence et de douleur. Jamais elle ne prend parti, laissant au lecteur tirer ses propres conclusions. Pour elle, une seule solution pour sortir du

conflit : accepter l’autre. Interview.La journaliste française Flore de Préneuf a posé ses valises entre 1998 et 2002 à Jérusalem où elle a appris à y vivre la peur au ventre au milieu de gens ordinaires, Israéliens et Palestiniens pris dans un drame sans fin

qu’elle a observés à travers son objectif. Ses clichés en noir et blanc et en couleur paraissent banals. Ils parlent de la vie quotidienne de passants qui essaient de survivre au mépris du danger dans un décor souvent misérable, ravagé ou sauvagement bétonné. La journaliste s’est refusée à figer les uns et les autres dans des poses guerrières et à réduire les deux peuples à leur caricature. Au fil de ces 4 années, elle a découvert les

multiples visages de l’intolérance.

§-Vous en avez été vous-même la victime.- Un jour, je me faisais traiter de juive par des enfants bédouins, le surlendemain, c’étaient des Juifs qui me traitaient de goy (nom donné par les Israélites aux personnes non juives, ndlr). Lors d’un attentat, j’étais pleine d’empathie pour les victimes, le lendemain, je me mettais à l’écoute des Palestiniens, victimes de représailles. Ca m’a beaucoup marquée et aidée à

rester neutre dans un conflit d’une très grande complexité. Le rôle d’un journaliste n’est pas de prendre parti. C’est pourquoi j’ai préféré livrer des bribes de conversations, des réflexions, des faits bruts, des chiffres et des dates et laisser le lecteur tirer ses propres conclusions.

§-Quel est le plus beau souvenir que vous gardez de ce séjour ? -C’est ma rencontre avec une mère israélienne, Malka, qui a perdu en mars 2002 son fils Tal, soldat tué par un commando palestinien dans une base militaire située dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie. Dans notre conversation, elle ne s’en prenait pas aux Palestiniens. « Mon fils a été tué à cause de l’occupation , disait-elle, depuis longtemps je pense que nous les traitons de manière injuste. Quand mon fils a été abattu, je n’allais pas oublier ce sentiment et me mettre à penser tout d’un coup que les Palestiniens sont terribles et que nous, Israéliens, sommes pleins de vertus ». Et Malka de poursuivre : « J’ai l’impression que la vie ne vaut pas grand-chose pour nous. Je le vois à la façon dont on traite nos ennemis, si on peut les appeler comme ça. Nous avons tant de mépris pour eux. En fin de compte, on rabaisse le prix de notre propre vie». Malka en veut à l’occupation israélienne et au machisme palestinien. Elle n’a pas peur de perdre la face en disant : « Rendons-leur leur terre ». Faire preuve de force dans ce conflit, c’est de voir que les deux peuples ne seront sauvés que par le compromis. La générosité et l’intégrité de cette femme m’ont beaucoup touchée.

§- Vous avez beaucoup de tendresse pour les gens que vous photographiez. A regarder les gens à travers l’objectif, on rentre dans une sorte de transe visuelle, on est pris d’amour pour les gens qu’on voit, on est saisi par leur pauvreté et leur dénuement. On est aussi pris de désespoir devant ces paysages enlaidis par les constructions hâtives, devant cette terre promise bétonnée, où la “vraie vie” est toujours remise à plus tard, faute de paix. Dans son état actuel, le pays ressemble à un mort vivant.

§- Quelle solution à vos yeux pour sortir de ce conflit ?Le défi serait d’accepter l’Autre avec un grand A pour enfin pouvoir vivre côte à côte sur cette terre. Accepter de voir l’autre et de l’écouter, plutôt que de nier son humanité et d’attendre sa disparation. Actuellement, là-bas, personne n’écoute l’autre. Les habitants d’Israël et de Palestine se croisent sans se parler, ils se toisent de part et d’autre d’un gouffre de griefs et de rancune. Mais nous n’avons pas de leçons à leur donner. Les Croisés ont tué tout le monde sur leur passage en Terre sainte et, dans un passé plus recent, l’Europe s’est montré bien peu tolérante envers les Juifs.

§Vous avez perdu vos illusions ?J’avais 24 ans quand je suis arrivée à Jérusalem, j’avais des idées humanistes, je croyais à la façon de penser héritée de l’Europe des Lumières. J’ai été élevée dans des écoles où on lisait Voltaire et Rousseau. J’ai découvert qu’ailleurs, dans d’autres pays, les gens voient le monde à travers un prisme fortement religieux ou nationaliste. Je suis laïque, cosmopolite, - j’ai bourlingué un peu partout dans le monde depuis mon enfance - , "/e croyais en l’Homme rationnel et éclairé. J’ai dû déchanter : "l’Homme" est capable du pire et même les enfants rejettent l’autre avec une violence presque égale à celle des adultes. On est bien loin de Rousseau.

§Flore de Préneuf, « Chronique d’un dialogue de sourds, Israël/Palestine,1998-2002 », éd. Labor et Fides._________________________________________________________________