Mystery Park à Interlaken : dites plutôt Fumisterie Park

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Mystery Park à Interlaken : dites plutôt Fumisterie Park

25 septembre 2003
«Simple parc à thème», disent ses concepteurs. «Tchernobil culturel», répondent les scientifiques
Ouvert ce printemps à Interlaken, Mystery Park met en scène une manipulation assez rusée. Son succès populaire démontre qu’au XXIe siècle, on arrive toujours à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Cédric Némitz dénonce la supercherie.Ce parc d’attraction est un vaste canular. La supercherie commence à être dénoncée par les média et certains intellectuels, mais il aura fallu du temps. Reconnaissons que l’affaire est rondement menée. A Interlaken, tous les ingrédients sont réunis pour donner l’illusion d’un parc d’attraction commercialement anodin. A 48 francs le billet d’entrée, il faut reconnaître que cela aide!

L’ensemble des attractions expose pourtant les convictions d’un écrivain suisse allemand assez illuminé. Sa thèse: les civilisations antiques ont réalisé leurs grands monuments grâce aux extraterrestres. Les "pauvres citoyens" d’aujourd’hui ont complètement oublié ce que l’humanité doit à ces visiteurs du cosmos. Le problème est donc ouvertement posé: «Sommes-nous préparés à un contact avec une civilisation extraterrestre très avancée?»

§Subtile manipulation«Nous ne faisons que poser des questions!», se défendent les chargés de communication du site. Certes, mais l’évidence et l’insistance avec laquelle ces questions sont posées ne laisse aucun doute sur la solution. Il n’y a pas de mystère à Mystery Park: l’extraterrestre donne réponse à tout.

Quand on défend des idées aussi loufoques, il faut pourtant avancer masqué. Un saupoudrage futé d’affirmations pseudo historiques et pseudo scientifiques trompe gentiment le client, sans l’effaroucher. La NASA et les découvertes scientifiques «les plus récentes» viennent donner de la crédibilité aux commentaires que des baladeurs individuels distillent au creux de l’oreille. L’appareil se déclenche automatiquement. La voix est suave: «Mais où ces hommes du passé ont-ils trouvé les moyens de construire d’aussi vastes édifices?» Mais je vous le demande !

§Des sponsors peu regardantsAutre rouage pour donner du crédit à l’entreprise: les sponsors. Et pas des moindres. Les CFF affichent la nouvelle destination sur tous les horaires gratuits et vendent directement des entrées. La plus grande marque de bière du pays y a construit son bar en forme de pyramide. Le premier fabriquant de montres suisses et l’ancienne régie fédérale de téléphonie se sont déclarés partenaires. Leur présence à Mystery Park en dit long de l’incurie intellectuelle et spirituelle des responsables marketing.

Les moyens investis sont donc considérables. Des temples mayas aux pyramides égyptiennes, du survol des traces péruviennes de Nazca aux rencontres du 3e type, le meilleur des techniques audiovisuelles est mobilisé. Il s’agit d’en mettre plein les yeux. Jusqu’à l’excès: le laser show ultrasophistiqué consacré aux mégalithes de Stonehenge laisse comme un goût de Temple solaire. Le malaise se confirme.

§Archéologues adroitement ridiculisésLorsque Mystery Park parle des textes sanscrits, le mécanisme devient évident. La mise en scène fait penser à un mauvais film de propagande des témoins de Jéhova: un jeune homme, genre américain, s’intéresse aux temples indiens. Une charmante bibliothécaire lui explique l’origine extraterrestre des connaissances rapportées par les textes anciens. L’homme fait semblant de douter, mais à la fin, il est convaincu par les arguments de sa souriante interlocutrice. A défaut de soucoupes volantes, on nous mène en bateau.

Dans cette avalanche d’arguments biaisés, les recherches des archéologues – eux vrais scientifiques – sont insidieusement ridiculisées. Et même s’il existe des explications très rationnelles pour chacune des énigmes évoquées, le parc continue de les prétendre irrésolues. Sous prétexte d’émerveillement, toute approche rationnelle s’en trouve disqualifiée. Logique quand on veut faire prendre la coiffe d’un bas-relief maya pour un casque de cosmonaute ou lorsqu’on discerne la fiche technique d’une ampoule électrique sur une stèle égyptienne.

Et les mystères religieux

Les mystères religieux sont évidemment absents de Mystery Park. Quand le texte biblique est cité – «cherchez et vous trouverez» - c’est pour le travestir grossièrement. Dans le pavillon «contact», le spectacle met en scène, sans le dire explicitement, une vision du prophète Ezéckiel. Ici encore, le résultat est attendu: le prophète a été mis en contact avec une soucoupe volante. Le dessin animé semble tout droit sorti des plus mauvaises productions de Cartoon. Consternant.

Et c’est ici que le parc atteint ses limites. Si la camelote est servie avec subtilité, le carton pâte des décors et le kitsch des shows ramène le visiteur à la raison. L’apparition surréaliste du «père fondateur» sur fond de calendrier maya achève de mettre la puce à l’oreille: les délires «mystériques» rapportent. Le magasin de souvenir permet d’entrer dans une fondation qui porte le nom du gourou. Car les mystères se gèrent aussi en actions boursières. Les volumes de son opulente littérature sont généreusement présentés à la vente. Une production portée en haute estime puisqu’elle encombre l’ensemble des vitrines installées dans la grande sphère panoramique qui domine le site. Les livres du génial visionnaire sont traduits dans toutes les langues: un véritable évangile.