Dernières pages pour Les Cahiers Protestants

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Dernières pages pour Les Cahiers Protestants

11 septembre 2003
Après plus de 70 ans de réflexion et de débat sur le protestantisme, la revue vit ses derniers numéros
Elle ne survivra pas au regroupement des forces romandes et à la naissance d’un Office romand d’édition chrétienne. Rencontre avec son dernier timonier, le journaliste Jean-Blaise Held. Décidément, les fins annoncées se succèdent dans le monde réformé romand. Un peu triste, Jean-Blaise Held s’apprête à tourner la page et à reprendre une activité indépendante lorsqu’en décembre sera posé le point le final des Cahiers Protestants. « C’est dommage, le comité de rédaction pense comme moi que cette publication avait sa place dans le débat d’idées et le patrimoine du protestantisme ».

Après 20 ans à la Radio romande, il prend la barre de cette revue mensuelle au petit tirage mais à la grande histoire ; née en 1917 sous le nom de Cahiers de Jeunesse, avec un numéro sur les lettres de soldats de la Grande Guerre, elle fut une émanation des rencontres de Vaumarcus, reprenant les allocutions et les études bibliques qui furent prononcées dlors de ce camp oecuménique. « En 1930, le bulletin prend son nom actuel de Cahiers Protestants. Mon père était pasteur et je me souviens de cette couverture rouge, puis orange, qui ne quittait jamais son bureau », se souvient le journaliste.

Denis de Rougemont, Karl Barth, Emmanuel Mounier comptent parmi les contributeurs célèbres de l’époque. « Le fonctionnement était identique à celui d'auourd'hui: une rédaction bénévole pour un bulletin indépendant, ouverte à toutes les formes de protestantisme, hors des institutions et de la pensée dominante. Son public n’a pas changé non plus : plutôt intellectuel et affichant une foi réformée, mais pas forcément intégré dans l’Eglise », note encore Jean-Blaise Held.

§Débat d’idées et vulgarisationEn 1965, Pierre Bonnard reprend la tête du ministère romand d’Evangile et Culture et y intègre les Cahiers. Ce « poil à gratter des Eglises », selon l’expression de l’ancien conseiller synodal vaudois Joël Guy, cherche à proposer une pensée sans jargon ni arguties théologiques trop absconses, dans un souci d’équilibre entre la qualité de la réflexion et la vulgarisation nécessaire à sa lisibilité : « Même si la démarche ne se veut pas académique, les universitaires y ont très souvent contribué », résume Jean-Blaise Held.

En 1990, un petit sondage indique que la revue possède environ un millier d’abonnés. Un chiffre assez stable. « L’autofinancement a toujours été assuré au niveau de l’impression et de l’édition. En revanche, mon salaire à mi-temps est payé par mon employeur, la Conférence des Eglises romandes (CER) ».

Si Les Cahiers Protestants disparaissent, ce n’est donc pas parce que les dettes s’accumulent, mais bien parce qu’Evangile et Culture auquel ils appartiennent, doit être dissous. « Nous sommes dans un mouvement de regroupement des ressources et des activités nommé ‘processus de Charmey’ et voté par les Eglises romandes voilà plusieurs années déjà, en grande partie pour des raisons économiques », rappelle le Vaudois Antoine Reymond, membre du bureau de la CER depuis un peu plus d’une année. C’est dans ce contexte que les Eglises réformées romandes s’apprêtent à créer deux grandes structures. Le chantier de la première est déjà bien avancé : il s’agit d’un Office protestant de la formation (OPF) qui s’occupera de tout ce qui concerne l’instruction des ministres et des laïcs, en lien avec les Eglises comme avec les facultés.

La conceptualisation du second est plus récente : celle d’un Office romand d’édition chrétienne (OREC), appelé à devenir « l’axe éditorial de la CER, en collaboration avec les protestants français », précise Antoine Reymond. Proposition a donc été faite à Jean-Blaise Held - et à Yolande Boinnard, directrice d’Evangile et Culture - de rejoindre la mise en place des deux futures institutions. « Aucun des deux ne l’a souhaité, les Cahiers s’arrêtent donc tout naturellement ».

Pour sa part, Jean-Blaise Held explique son refus par un « saucissonnage » de son temps de travail avec un 25% « largement insuffisant » pour assurer la parution de la revue. D’autre part, selon lui, « l’intégration des Cahiers au sein de l’OREC aurait forcément signifié une perte de liberté éditoriale à laquelle l'équipe des Cahiers est profondément attachée. Du même avis, le conseil de rédaction vient de présenter sa démission. Par ailleurs, une quarantaine de personnalités réformées ont envoyé un appel à la CER, estimant que « l’arrêt de cette publication pour économiser quelques milliers de francs prive le monde intellectuel de notre coin de pays d’un organe de presse et de réflexion indispensable ». Pour sa part, Antoine Reymond reconnaît bien volontiers l’apport et l’intérêt de la revue, et se dit persuadé qu’une telle brochure renaîtra sous un autre nom et une autre forme : « Notre situation économique ne nous autorise plus à éparpiller nos forces. Si nous voulons assurer la diffusion de la pensée réformée francophone dans l’avenir, c'est le dernier moment de mettre nos forces en commun ».