Exposition au Conseil Oecuménique des Eglises à Genève: Le saisissant questionnement de Kofi Setordji sur le génocide rwandais

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Exposition au Conseil Oecuménique des Eglises à Genève: Le saisissant questionnement de Kofi Setordji sur le génocide rwandais

25 août 2003
Il y a 9 ans, le génocide rwandais fit près d’un demi million de morts
Comment un tel massacre a-t-il pu arriver et qu’avons-nous fait pour l’arrêter ? Ces questions hantent l’artiste ghanéen Kofi Setordji qui a réalisé un ensemble de sculptures intitulé « Les plaies de la mémoire ». Cet œuvre sera exposée dès mardi 26 août au Conseil Œcuménique des Eglises à Genève. Rencontre avec l’artiste.

C’est à la télévision, dans la lus d’un demi million de morts. Cette irruption de l’horreur le traumatise. Il n’a de cesse de comprendre comment il est possible que des êtres humains se réveillent un beau matin décidés à tuer leurs voisins, leur entourage, des gens avec qui ils ont vécu, parlé, partagé des repas, commercé, prié ensemble dans la même église ? La question lancinante le travaille et pendant deux ans il cherche des réponses en créant une œuvre monumentale. Il sculpte d’étranges et inquiétants personnages dont le corps, fermé par deux petites portes, s’ouvre sur un grand vide, - « ce sont des politiciens ! » explique-t-il –, façonne des centaines de visages en terre cuite, parfois frappés d’un matricule, engloutis dans une fosse commune que contemple un oiseau de malheur; à cette marée de masques, il faut encore ajouter une rangée de longues et minces statuettes de bois, souvent décapitées ou dont la tête branle curieusement, et une statue de la justice au corps puissant taillé dans un tronc, avec, au bout d’un bras cyclopéen, une dérisoire petite balance. Allusion au tribunal pénal international pour le Rwanda installé à Arusha, qui peine à instruire tous les dossiers des crimes perpétrés et aux 100'000 prisonniers entassés dans des prisons, en attente d’un jugement et à la gacaca, juridiction traditionnelle réinstaurée pour résorber les engorgements de la justice.

L’hallucinant ensemble de sculptures que Kofi Setordji a réalisées en bois, en terre cuite, en métal mais aussi à l’aide d’objets de récupération, est un peu à l’étroit dans le grand hall de l’entrée de Conseil Œcuménique des Eglises (COE); le sculpteur a dû renoncer à certains éléments de son installation, mais la vision de l’ensemble présenté à Genève est forte et rend palpable l’inimaginable. Elle interpelle le visiteur. « Qu’auriez-vous fait, vous ? » Ou mieux : « Que faisons-nous pour arrêter le mal qui est en chacun de nous ? » Telles sont les questions que pose implicitement l’artiste ghanéen à travers son installation. « On est tous d’une façon ou d’une autre concerné », estime-t-il, aussi bien en Afrique qu’ici ! Il évoque la communauté internationale qui a assisté sans broncher aux massacres, aux casques bleus de l’ONU qui ont quitté le pays au début du génocide, aux marchands d’armes qui instrumentalisent la violence, à tous ceux qui ne se sentent pas concernés par le problème, à ceux qui, jour après jour, « ne respectent pas la Création que Dieu a confiée à l’homme ».

Croyant refusant toute appartenance à une Eglise, Kofi Setordji évoque la responsabilité de chacun face au « cadeau » sacré qu’est la vie, qui est, pour lui, de l’ordre du divin. « Il nous faut tout mettre en œuvre pour éradiquer la violence et venir à bout des forces destructrices qui sont en chacun de nous, comme on a éradiqué la poliomyélite et tout fait pour venir un jour à bout du sida, c’est une question individuelle qui concerne chacun ». Kofi Setordji rappelle que le 20e siècle a été le siècle des avancées technologiques les plus prodigieuses, le siècle le plus rapide de tous. « Mais l’homme, dit-il, lui, n’a pas progressé depuis 3000 ans ».

L’exposition a été rendue possible grâce à l’appui du Service des Eglises Evangéliques en Allemagne pour le Développement (EED), qui a tenu à mettre en évidence les liens très étroits qu’il y a entre la culture et la solidarité. Un lien qu’illustre de façon très prenante l’installation de l’artiste ghanéen.

Après Genève, l’exposition partira pour Kigali, où elle sera présentée à l’occasion du 10e anniversaire du génocide en avril prochain.