Polémique autour de la Passion selon Mel Gibson

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Polémique autour de la Passion selon Mel Gibson

7 août 2003
Le célèbre acteur est-il guidé par le Saint-Esprit ou titillé par des démons antisémites ? Près de dix mois avant sa sortie, son film « The Passion » enflamme les esprits aux Etats-Unis et sur Internet
Explications avant que le débat ne débarque sur le vieux continent. « Le Saint-Esprit fait son oeuvre à travers moi ». Mondialement connu pour ses rôles de ferrailleur rigolo, Mel Gibson est aussi un fervent chrétien, appartenant à une dissidence ultra conservatrice à laquelle il a offert un temple à Malibu. Depuis plus de douze ans, Mad Max s’est rangé des voitures : plus une goutte d’alcool, sept enfants dont une fille qui s’apprête à commencer son noviciat, et une vie très proche de sa communauté. Quant à son père, un vieillard de 84 ans, il expose des idées plutôt nauséabondes à propos des francs-maçons et de l’éternel complot juif mondial.

On comprend que lorsque l’acteur et cinéaste américain annonce vouloir raconter les douze dernières heures de la vie du Christ dans un long métrage faisant la part belle au pathos, certains s’inquiètent.

§Des choix douteux ?Le tournage de « The Passion » vient de s’achever en Italie. La sortie du film n’est prévue que pour Pâques prochain, et déjà les esprits s’enflamment dans la presse d’Outre Atlantique comme sur Internet. La mèche s’est allumée lorsque Mel Gibson a souligné qu’il espérait depuis dix ans mener à bien ce projet pour lequel il a investi 25 millions de dollars. « Je veux montrer de la manière la plus vraie le calvaire de Jésus. C’est un film sur l’amour, la foi, l’espoir et le pardon », a-t-il notamment déclaré sur la chaîne FoxNews. Ainsi, contrairement aux habitudes du cinéma étasunien, les acteurs s’expriment dans les langues originelles de l’époque, l’araméen pour le Christ, par exemple.

Le scénario de « The Passion » s’inspire bien sûr des quatre évangiles, mais aussi des écrits mystiques de la moniale augustine Anne-Catherine Emmerich (lire encadré). Selon les visions de cette religieuse allemande du XVIIIe, les grands prêtres juifs doivent bien être considérés comme les principaux responsables de la mise en croix du Christ, montrées ici en forçant sur l’hémoglobine. « Je veux juste dire la vérité », a souligné à ce sujet le réalisateur.

Il n’en fallait pas plus pour faire bondir le Centre Simon Wiesenthal, ainsi que l’association américaine de militants juifs « Anti Defamation League » (ADL). Depuis un article paru dans l’édition dominicale du « New York Times », suivi d’un autre dans le Times, la polémique ne cesse de s’étendre. Mandaté par l’ADL et par la Conférence des évêques américains, un groupe de théologiens catholiques spécialisés dans les relations entre christianisme et judaïsme a écrit à Mel Gibson pour le supplier de changer son interprétation. « De nombreux éléments présents dans le travail de sœur Emmerich, visant à accroître la responsabilité des Juifs, n’existent pas dans le Nouveau Testament et sont contraires à l’enseignement officiel de l’Eglise catholique romaine », expliquent notamment ces experts, mentionnant entre autres une croix construite dans la cour du Temple de Jérusalem sur l’ordre des hauts prêtres, d’importantes scènes de violences précédant la crucifixion ; ou encore Ponce Pilate obéissant aux prêtres par crainte d’un soulèvement contre Rome.

§Versions contradictoires des évangilesDe plus, rappellent les auteurs de ce rapport, les versions données par les quatre évangélistes des dernières heures de Jésus contiennent autant de narrations distinctes dont aucune ne peut être considérée comme une simple transcription historique des faits. Selon eux, le script sur lequel se base le long-métrage de Mel Gibson favorise dans chaque évangile certains éléments défavorables aux Juifs : Pilate se lavant les mains (que l’on trouve seulement chez Matthieu), faisant fouetter Jésus pour essayer de lui éviter la mort (chez Jean) et Hérode Antipas essayant de ne pas condamner le Christ (uniquement chez Luc). Le quatuor d’académiciens conclut : « A l’heure actuelle, tout producteur chrétien d’une présentation dramatique de la mort de Jésus porte une importante responsabilité morale envers la diffusion d’anciennes thèses antisémites ».

Pour sa part, le réalisateur se défend de toute idée antisémite : « Je ne hais personne, et certainement pas les Juifs. J’ai des amis juifs, tant dans ma vie privée que professionnelle. L’antisémitisme est non seulement contraire à mes convictions, il est aussi contraire au message de mon film », précise-t-il dans un hebdomadaire. En même temps que son producteur, Mel Gibson dénonce une campagne de dénigrement avant même que la version finale du long métrage ait été montrée à la presse et au public, colère qui a provoqué les excuses du responsable de la Conférence des évêques américains. Mais visiblement, la polémique ne fait que commencer.