La soupe est pleine !

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La soupe est pleine !

20 juin 2003
L’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision n’entre pas en matière face à une attaque en règle par l’émission satirique de la RSR d’éléments fondamentaux de la foi chrétienne
La minimisation d’un véritable « piétinement » selon trois de ses membres, dont son président Denis Barrelet, qui se désolidarisent de leurs collègues. Débat. Fait sans précédent au sein de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP). Trois de ses neuf membres se désolidarisent officiellement de leurs collègues. Les trois dissidents, dont le président lui-même, se distancient d’une décision rendue publique le 13 juin, dans laquelle l’AIEP rejette la plainte déposée par une auditrice de la Radio suisse romande (RSR), appuyée par une vingtaine de signataires. Le motif ? L’émission « La Soupe est pleine » du dimanche 7 juin 2002, émaillée de propos jugés scandaleux contre la religion chrétienne.

Plusieurs passages étaient cités à l’appui de la démarche (lire encadré), allant des bobards du 1er avril dont « le coup de Jésus ressuscité », aux « oeufs de Jésus tombés faute d’avoir servi [comme ] les ovules de Marie » en passant par le sang du Christ dont « on s’envoie bien deux ou trois litres chacun en plus de la bière de mars ».

L’AIEP reconnaît que dans le premier extrait, « la résurrection est ridiculisée », et que dans le troisième passage la manière d’évoquer l’eucharistie, élément central de la célébration chrétienne et l’un des sept sacrements catholiques, « ne peut que heurter un chrétien, quelle que soit sa dénomination ». En revanche, l’Autorité des plaintes de la Société suisse de radiodiffusion (SSR) estime que si le mystère de la naissance du Christ est indirectement visé à travers l’évocation de ses organes reproducteurs et de ceux de sa mère, « on ne peut affirmer qu’un contenu essentiel de la foi chrétienne soit ici ridiculisé ». Voilà qui fait peu de cas du dogme catholique de la virginité de Marie institué par le second concile de Constantinople en 553 et réaffirmé à deux reprises au XIIIe siècle. De même, l’AIEP n’entre pas en matière concernant plusieurs plaisanteries à propos du Pape, puisque les dignitaires de l’Eglise tout comme l’institution elle-même demeurent exclus du domaine de protection des sentiments religieux inscrit dans la loi sur la radio et télévision.

§Changement de jurisprudenceAu-delà de ces derniers exemples, l’AIEP en convient : « des éléments essentiels de la foi ont été touchés dans plusieurs passages de l’émission litigieuse ». Comment, dès lors, rejeter cette plainte puisqu’une telle atteinte a toujours été considérée comme une violation du droit des programmes de service public de la SSR ? En changeant sa propre jurisprudence, tout simplement.

Ainsi, tout en réaffirmant que les fondements de la foi doivent être protégés dans le cadre du respect des libertés fondamentales garanti par la Constitution, l’Autorité estime que désormais, il ne suffit plus que ces éléments essentiels soient atteints. Ils doivent l’être de manière « notable ». En l’occurrence, conclut-elle, une émission humoristique et reconnue comme telle doit pouvoir « exercer la satire sur tous les sujets, religion comprise ». Et si le contenu de sketchs incriminés « est parfois de mauvais goût, voire d’un humour grossier digne des corps de garde », « La Soupe est pleine » prise dans sa totalité n’a pas violé « de manière notable » la loi sur les concessions de service public.

Un constat auquel trois de ces membres affirment donc « ne pouvoir se rallier ». Parmi eux, Denis Barrelet, journaliste parlementaire depuis trente ans, président de l’AIEP et spécialiste reconnu du droit des médias. « C’est effectivement la première fois depuis la création de l’AIEP, en 1984, qu’il est fait usage de la possibilité de se désolidariser d’une décision. Notre malaise vient de cette minimisation d’une attaque plutôt frontale contre la religion. Pour nous, jamais encore l’AIEP n’a eu à juger d’une émission qui s’en prenait aussi directement à la foi chrétienne ».

§Ne pas piétiner les convictionsDenis Barrelet rappelle que l’AIEP doit, à l’inverse du Conseil de la Presse, être considérée comme un organe juridique davantage que déontologique. « Son rôle est de faire appliquer le droit des programmes contenu dans la loi sur la radio et télévision, ainsi que dans la concession de la SSR ». Autant dire que les changements de jurisprudence demeurent rares. Pour le journaliste et professeur, cette volte-face est directement influencée par le climat ambiant de privatisation du religieux. « Mais contrairement à nos collègues, nous ne croyons pas que cette déchristianisation soit un argument pour laisser les croyants se défendre eux-mêmes. Les convictions les plus sacrées ne sauraient être abandonnées au piétinement, surtout lorsqu’il provient d’un diffuseur rattaché au service public ». Le respect de la liberté religieuse figure d’ailleurs en bonne place dans la Constitution fédérale.

L’inculture religieuse et la méconnaissance de nos propres racines progresse, d’où le débat actuel sur le retour d’un enseignement sur le fait religieux durant l’école obligatoire. « Cette profonde méconnaissance existe aussi parmi les journalistes, rappelle Denis Barrelet. J’ai été par exemple sidéré de constater que certains ne connaissaient même pas la signification de Noël ».