« La solitude des mourants » de Norbert Elias:Plaidoyer pour remettre la mort dans la vie

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« La solitude des mourants » de Norbert Elias:Plaidoyer pour remettre la mort dans la vie

16 mai 2003
« Aujourd’hui, la mort est redevenue sauvage »
Le constat du sociologue Norbert Elias nous invite à revoir notre comportement face aux mourants, mais aussi notre difficulté à nous entretenir avec eux et à leur adresser librement la parole, ce dont ils auraient pourtant bien besoin. Un plaidoyer pour remettre la mort dans la vie. Dans « La solitude des mourants », ouvrage qui vient d’être réédité en livre de poche, le sociologue Norbert Elias analyse l’exclusion prématurée et silencieuse des êtres vieillissants, un phénomène propre aux sociétés développées. « Les derniers moments (de la vie) sont importants, certes, mais souvent le départ des êtres humains commence bien plus tôt. Très souvent les infirmités physiques séparent déjà les vieux des vivants. Leur déclin les isole, » constatait-il en 1982, avant d’ajouter : « Bien qu’ils soient encore en vie, ils sont déjà délaissés ». Pour l’auteur, cet isolement témoigne des difficultés qu’ont beaucoup de gens à s’identifier aux vieilles personnes et aux mourants et rend difficilement maîtrisable le problème social de la mort.

Le mouvement de recul involontaire des vivants devant les mourants, - comme si la mort était contagieuse -, témoigne de l’éveil de leur propre peur de mourir, mais aussi des désirs de mort et des angoisses de culpabilité enfouis au plus profond d’eux-mêmes. « Et pourtant, comme à chaque fois que l’on prend congé de proches, rappelle Norbert Elias, un geste d’affection intacte est peut-être le plus grand secours que ceux qui restent peuvent apporter à ceux qui partent à jamais, en dehors de leurs souffrances physiques».

Norbert Elias refuse de partager l’hypothèse et le parti pris romantique de Philippe Ariès*, selon lesquelles les hommes mouraient autrefois dans la paix et la sérénité. Si la mort au Moyen Age était plus omniprésente et familière, elle n’était pas plus paisible, d’autant plus qu’elle baignait dans la peur de l’enfer, dont les images aux tympans et aux chapiteaux des églises donnaient une image effrayante. Il relève toutefois qu’à cette époque-là, la participation des autres humains à la mort de l’un d’entre eux la rendait humaine et la remettait à sa place, dans la vie.

§*Philippe Ariès, Essais sur la mort en Occident.

Norbert Elias, La solitude des mourants, éd. Pocket, 2002.