La notion de religion civile, l’une des clés pour comprendre le dieu de Bush

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La notion de religion civile, l’une des clés pour comprendre le dieu de Bush

4 avril 2003
« Il faut affiner notre compréhension de la religion civile aux Etats-Unis pour bien comprendre ce qui s’y passe actuellement ! » Voilà en bref le plaidoyer du sociologue français Sébastien Fath, spécialiste du protestantisme évangélique
Pour lui, les « bondieuseries » du président Bush ne peuvent se comprendre que dans le cadre de cette fierté nationale qui fait feu de tout bois, de la fascination pour la bannière étoilée et de Dieu pour encenser une seule et même réalité : l’Amérique.§George W. Bush légitime régulièrement l’intervention américaine en Irak par des propos religieux. Selon vous, on les comprend mal si on ne les situe pas dans le cadre de la religion civile américaine.Oui ! Aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays du monde, la religion civile, c’est la sacralisation de l’être ensemble d’une communauté. Pour être plus précis, c’est la manière dont une communauté va légitimer et souder sa propre identité. Aux Etats-Unis, la religion civile est une sorte d’identité religieuse générique, qui dépasse les barrières confessionnelles et met en valeur un certain nombre de traits jugés fondamentaux dans la définition même de l’identité américaine.

§Quels sont les traits fondamentaux de cette religion civile ?On peut schématiquement en distinguer cinq. Tout d’abord, la culture wasp (« White Anglo-Saxon and Protestant »). La religion civile américaine reprend l’héritage des Pères pèlerins, de ces pères fondateurs qui, au XVIIe siècle, ont fui l’Europe alors qu’ils étaient persécutés pour des raisons religieuses et ont construit l’idéal américain. Le deuxième trait de cette religion civile, c’est l’individualisme. Aux Etats-Unis, l’individu est une valeur suprême. On ne peut ni sauver une société, ni sauver une situation si on ne commence pas par sauver l’individu. La troisième caractéristique de cette religion civile, c’est l’accent mis sur la foi et la prière. On rejoint là l’un des thèmes centraux du « Prince d’Egypte », un film américain sorti sur les écrans en 1998. Une des chansons phares de ce film disait :« When you believe » « Quand tu crois… » Alors tout devient possible, pensent les Américains. Peu importe le contenu de la foi, l’important, c’est de croire et de prier.

§Quel est le quatrième élément de cette religion civile américaine ?C’est le messianisme ou l’universalisme providentiel. Là, on rejoint les mythes fondateurs de la société américaine. L’idée que l’Amérique, en référence au monde de la Bible, c’est le nouvel Israël, le nouveau peuple élu. Cette idée est très ancienne. Elle remonte au puritanisme du XVIIe siècle et à un fameux discours de John Winthrop en 1630. Il compare l’Amérique à une cité sur la colline, appelée à éclairer le monde au travers de ses propres valeurs.

Le dernier élément de cette religion civile qui s’articule à ce messianisme, c’est l’optimisme. Le slogan : « Just do it » (« Vas-y, fais-le ! ») et ça marchera, retrace bien cette attitude à l’endroit de la vie. Il suffit d’agir pour vaincre. On retrouve cela dans l’attitude de George W. Bush à la suite du 11 septembre. L’Amérique ne peut pas camper sur un échec. Elle doit forcément triompher. Elle doit forcément vaincre et d’une certaine manière, ce souci de revanche s’est cristallisé sur la figure de Saddam Hussein.

§On perçoit les traits principaux de cette religion civile américaine. Votre analyse vous pousse à dire que ces dernières années cette religion civile se laïcise de plus en plus.Effectivement ! Traditionnellement le messianisme chrétien met en avant la figure de Jésus-Christ qui revient dans l’histoire humaine de manière spectaculaire pour instaurer le millénium. A mon sens, le messianisme que véhicule George W. Bush est d’une autre nature. Pour éclairer ce propos, j’aimerais recourir à l’histoire du cinéma.

En 1953 sort le film « La Guerre des mondes » et, 43 ans plus tard, en 1996, « Independance Day ». Ces deux films relatent l’histoire d’une invasion d’extra-terrestres, de la riposte des terriens, en particulier des Américains, qui mettent au point des armes spécifiques pour vaincre l’envahisseur. Dans « La Guerre des mondes », cette tentative échoue. La population se tourne alors vers Dieu, prie et demande la délivrance. Finalement, Dieu envoie une bactérie qui va décimer les envahisseurs et le salut du monde est préservé. Morale du film : tout ce que l’homme a entrepris a failli, Dieu seul sauve. Là, nous nous situons classiquement dans une perspective de millénarisme chrétien où Dieu intervient dans l’histoire pour sauver l’humanité.

§Avec « Independance Day », le propos est très différent.Effectivement. L’histoire est quasi identique. Il y a aussi dans ce film un recours à la prière, même si cette dimension est peu montrée ! En fait ce qui est mis en valeur, c’est la technologie américaine hyper-sophistiquée qui, à elle seule, parvient à vaincre les extra-terrestres. On le sent bien, la morale est tout à fait différente de celle de « La Guerre des mondes ». On pourrait la résumer en disant : « In Gun We Trust ». C’est la technologie militaire américaine qui apporte le salut.

A la figure de Jésus-Christ, sauveur de l’humanité, se substitue la figure d’une Amérique triomphatrice qui, par ses vertus, par son modèle de société, par sa technologie, instaure le Royaume de Dieu sur terre. A mon sens, quand on observe l’administration Bush aujourd’hui, l’hypothèse qu’elle véhicule un néo-messianisme largement sécularisé est tout à fait intéressante. Donald Rumsfeld, par exemple, l’un des principaux va-t-en guerre qui entoure le président, n’est pas quelqu’un de religieux. Toutefois il est porté par une vision messianique de l’Amérique. Le Dieu ou plutôt la déesse pour laquelle Bush et son administration partent en guerre aujourd’hui, c’est avant tout l’Amérique !

§Avez-vous l’impression que George W. Bush n’est pas conscient de ce glissement d’un messianisme d’inspiration chrétienne vers un messianisme laïc?Difficile de dire si Bush est conscient de cela. En tout cas, une chose est sûre. Il reçoit de nombreux signaux de la part des Eglises qui l’avertissent de ce glissement. Pour ces dernières, la mise en avant de l’Amérique comme pays libérateur, comme pays qui apporte la liberté et la paix dans le monde, « c’est de l’idolâtrie ». L’Eglise méthodiste unie, l’Eglise dont sont membres tant George W. Bush que Dick Cheney, développe aussi un tel discours. Elle affirme très clairement qu’identifier l’Amérique à une sorte de sauveur de l’humanité, c’est idolâtre.