L’humanité au coeur des drames

L’Equipe de soutien d’urgence intervient plus de 240 fois par année sur mandat des services d’urgence et particulièrement de la Police cantonale vaudoise. / ©DR
i
L’Equipe de soutien d’urgence intervient plus de 240 fois par année sur mandat des services d’urgence et particulièrement de la Police cantonale vaudoise.
©DR

L’humanité au coeur des drames

Numa Francillon et René Giroud
21 février 2024
Soutien
Se trouver aux côtés des personnes qui traversent l’une des pages les plus sombres de leur vie est la mission des membres de l’Equipe de soutien d’urgence du Canton de Vaud. Portrait d’un engagement hors norme.

Les membres de l’Equipe de soutien d’urgence (ESU) du Canton de Vaud agissent sur mandat des «feux bleus», notamment de la Police cantonale, en cas d’accidents, de catastrophes, de violences ou de décès brutaux. Pierre Bader, pasteur et pompier de formation, assure la coordination de cette équipe qui soutient les victimes, les témoins ou les proches, qui sont soumis à une forte charge émotionnelle.

«Face à des situations de détresse, nous proposons une présence et un soutien pour permettre aux gens d’exprimer leur souffrance et de mobiliser leurs ressources personnelles», explique celui qui a cofondé ce service il y a plus de vingt ans. Son organisation a été confiée aux deux Eglises historiques reconnues comme institutions de droit public (l’Eglise réformée du canton de Vaud et l’Eglise catholique dans le canton de Vaud).

«Nos interventions sont au service de tous, confessionnellement neutres et dans le respect des convictions de chacun», précise Pierre Bader. Prêts à intervenir 24h/24h, les membres de l’ESU assurent un service de piquet à tour de rôle 365 jours par an. Au total, les équipières et les équipiers de l’ESU interviennent plus de 240 fois par année.

En région

Isabelle Court et Marc Bovet sont respectivement pasteure et diacre à l’EERV. Marc a rejoint l’ESU il y a de cela onze ans tandis qu’Isabelle faisait partie de la volée de 2017, après plus de deux ans de formation. Les deux ministres, qui résident et exercent dans la Région La Côte, reviennent sur cet engagement pas comme les autres.

Quand vous êtes appelés sur le terrain, quel est votre rôle?

M. B.: Quand le message d’appel retentit, on prend contact avec la centrale d’engagement des feux bleus. L’opérateur nous dit deux mots de la situation et nous met en contact avec la patrouille qui se trouve sur place. Pendant le trajet, je n’essaie pas d’imaginer la situation en dehors des informations reçues, car une fois sur la place, la réalité est souvent différente. Je me répète simplement les infos reçues pour les intégrer. Arrivé sur les lieux, je prends un bref temps d’échange avec les gendarmes avant de rencontrer la famille et les personnes présentes. Avec le temps, on se connaît et on fait vraiment équipe ensemble. Dans un moment où la vie bascule et ne sera jamais plus comme avant, je suis là en premier pour écouter et accueillir l’immense tristesse, le désarroi, la colère, l’incompréhension et laisser les réactions fortes s’exprimer. Etre quelqu’un qui est là, qui a du temps pour les personnes concernées en laissant venir petit à petit les questions et parfois en faisant des suggestions et pouvoir trouver ensemble comment mettre « un pied devant l’autre » pour les jours qui vont suivre. L’important, c’est que les personnes ne se retrouvent pas toutes seules, qu’elles puissent être entourées par la famille, les amis proches. Etre là, pas pour faire à la place des gens mais pour permettre qu’ils découvrent qu’ils ont des ressources même au coeur du drame le plus douloureux. Etre là parfois quand tout bouge dans la maison comme un phare qui reste à un endroit et où les gens peuvent se retrouver.

I. C.: Les personnes qui sont touchées par ces drames sont choquées par ce qui leur arrive. Elles sont un peu comme un boxeur groggy qui vient de recevoir un uppercut d’une grande violence et se retrouvent sonnées et chancelantes. Notre rôle est de leur permettre de reprendre le contrôle et le fil de leurs existences en intégrant la tragédie. Concrètement, je cherche avec elles des solutions aux problèmes immédiats qui se posent, je réponds à leurs questions ; je suis là simplement, dans le dialogue ou parfois sans rien dire, présence humaine dans ces situations de chaos où l’humain est broyé.

De quel type de drame parle-t-on?

I. C.: La plupart du temps, ce sont des décès: suicides, accidents, morts brutales inexpliquées. Nous sommes présents lors de l’annonce de ces décès aux familles. Parfois, nous accompagnons également les personnes témoins des accidents qui ont causé ces décès.

M. B.: Dans une grande majorité des situations, nous sommes présents avec la patrouille de gendarmerie. Si le décès a eu lieu à domicile, nous venons après les gendarmes, en soutien. Il y a aussi les lieux d’accidents (route, gare), les braquages, pour les témoins et les personnes impliquées.

Comment faites-vous pour tenir le coup émotionnellement face à tous ces drames?

M. B.: L’enracinement dans ma foi est ce qui me porte principalement. Avant que la porte ne s’ouvre, et que je fasse l’annonce qui va chambouler la vie d’une famille, je dis dans mon coeur au Christ: après toi. Je n’ouvre pas ma bible et ne prie pas avec les gens, mais je sais le Christ présent et je suis au coeur de mon ministère. Après chaque intervention, je prends un temps pour moi en allant marcher un moment. Il y a aussi des temps de supervisions que nous vivons régulièrement avec les équipiers. Nous sommes là ponctuellement dans la vie des gens et nous savons que le relais sera pris par des collègues ou des médecins, suivant le choix des familles.

I. C.: Mon engagement à l’ESU a beaucoup de sens pour moi. Si je devais traduire cela de manière théologique, je dirais que je suis comme les femmes au pied de la croix du Christ le Vendredi-Saint: impuissante à changer le cours des événements mais là, simplement, pour accompagner celle ou celui qui souffre. Et je vois aussi les personnes se relever et reprendre pied dans leurs vies, ce qui est pour moi la définition de la résurrection.

Aude Collaud, pasteure EERV depuis une quinzaine d’années, a rejoint l’ESU en 2017, après plus de deux ans de formation. L’habitante de Corcelles-sur-Chavornay qui travaille en tant qu’aumônière jeunesse dans la Broye revient sur cet engagement pas comme les autres.

Aude Collaud, quand vous êtes appelée sur le terrain, quel est votre rôle?

On est là pour accompagner des personnes qui vivent des situations anormales et choquantes. Nous sommes une présence de quelques heures pour les aider, les soutenir et leur donner des informations et des conseils.

De quel type de drame parle-t-on?

La plupart du temps, il s’agit d’un décès. Concrètement, la gendarmerie annonce factuellement la mort aux familles et propose ensuite notre soutien. Nous sommes en deuxième ligne. On « traduit », on explique, on ré-explique, on rassure, on aiguille. On n’est pas des psychologues, on est centré sur l’humain et les besoins vitaux d’urgence.

Comment faites-vous pour tenir le coup émotionnellement face à tous ces drames?

Bien que les situations soient dramatiques, il y a souvent de belles rencontres et de beaux moments. Il y a aussi énormément de reconnaissance de la part des bénéficiaires et des autres intervenants «feux bleus». Je dois aussi dire qu’il existe une solidarité extraordinaire et sans faille entre les membres de l’ESU.

Rencontre avec Anne-Christine Rapin, équipière de l’ESU, pasteure dans le Nord vaudois depuis bientôt dix ans, en poste dans la paroisse de Montagny-Champvent et également en mission d’accompagnement des paroissiens du secteur paroissial Baulmes- Vuiteboeuf.

Quand avez-vous décidé de rejoindre l’ESU? Pourquoi?

Tout a commencé au début des années 2000 dans le Chablais : mon maître de stage était formé à l’entretien d’aide. Lorsqu’il a changé de poste, le collègue de la région voisine a demandé à tous les curés et pasteurs du Chablais s’ils étaient d’accord d’être contactés au cas où il ne pourrait pas se rendre lui-même sur place en cas d’appel. J’ai accepté d’être sur cette liste, tout en espérant ne pas être contactée, car je ne me sentais pas du tout prête à intervenir, aux côtés des divers services d’urgence. Remplacer par: En 2008, dès que j'ai pu commencer à me former, je l'ai fait! Ce n’est qu’en 2009, que j’ai eu ma toute première intervention. Il me manquait un peu d’expérience, mais j’avais eu les informations principales, compris les modes de fonctionnement de chacun des «feux bleus», et pu vivre des exercices qui m’y avaient bien préparée. Chaque intervention est un moment fort, intense, riche en émotions… Il y a la rencontre avec les divers intervenants, la découverte de situations dramatiques, avec des accompagnements de juste quelques minutes parfois, ou alors de plusieurs heures. A chaque fois, je sais que ma présence a pu être utile, que j’ai pu être témoin d’humanité, écouter, soutenir, accompagner une personne, une famille traversant une situation complètement déstabilisante. Et à ce moment-là, je me sens pleinement à ma place, et pleinement utile, au service de tous. Lorsqu’il y a des retours, ils sont empreints d’une grande reconnaissance, et c’est un précieux cadeau.

Qu’est-ce que cela apporte de plus à votre ministère de faire partie de cette équipe?

J’ai pu être mieux présente dans certaines situations et plus pertinente dans mon ministère paroissial d’accompagnement, lorsqu’il y avait des situations douloureuses, ou des crises soit chez une personne, soit au sein d’une équipe.

Que diriez-vous à quelqu’un qui aurait des appréhensions à rejoindre l’ESU?

La formation est passionnante! Tout ce qui est acquis lors des formations peut vraiment être très utile dans la vie de tous les jours, lorsqu’une situation difficile se présente. C’est vraiment une chance pour moi de pouvoir aider, accompagner, écouter des personnes en situation de crise. Chaque fois, malgré la fatigue, le stress, j’en sors enrichie en humanité, riche d’une expérience de vie nouvelle.

Pierre Bader, pasteur EERV et coordinateur de l’ESU depuis 2022, revient sur cet engagement pas comme les autres.

Pierre Bader, quand vous êtes appelé sur le terrain, quel est votre rôle?

Notre mission est d’assurer un soutien et un accompagnement. Nous sommes présents pour aider les personnes à gérer la puissante vague émotionnelle qu’ils peuvent éprouver.

De quel type de drame parle-t-on?

La plupart du temps, il s’agit d’un décès. Concrètement, la gendarmerie annonce factuellement la mort aux familles et propose ensuite notre soutien. Nous sommes en deuxième ligne. On «traduit», on explique, on rassure, on aiguille. On est centré sur l’humain et les besoins vitaux d’urgence.

Comment faites-vous pour tenir le coup émotionnellement face à tous ces drames?

Avant de partir en intervention, j’analyse les informations disponibles et anticipe les questions techniques. Cette démarche me permet de prendre une distance nécessaire pour offrir un meilleur accompagnement. En quittant les lieux, je me rappelle constamment que mon rôle était d’accompagner, mais que l’histoire et les émotions qui y sont liées sont distinctes des miennes. Il est également important de souligner la grande compétence de l’ensemble de l’équipe de l’ESU.

Un nouveau coordinateur régional

Depuis le 1er janvier de cette année, Pierre Bader a repris la coordination de la Région Riviera – Pays-d’Enhaut. Bien qu’il accueille avec enthousiasme cette nouvelle responsabilité, il est conscient des défis liés à la gouvernance de la Région avec une réduction du nombre de ministres et des conseils qui peinent à se renouveler. Sa priorité sera avant tout de prendre soin des personnes qui contribuent au bon fonctionnement de la Région: «Il me tient particulièrement à coeur de soutenir les ministres et les communautés de la Riviera – Pays-d’Enhaut!»

Une équipe qui s’agrandit

Afin de compléter ses effectifs, l’Equipe de soutien d’urgence du Canton de Vaud démarrera une nouvelle formation en automne 2024. Il s’agit de se former à offrir un soutien psychosocial et spirituel immédiat aux victimes, témoins ou proches qui sont soumis à une forte charge émotionnelle. La formation dure 160 heures sur deux années. Cette formation est ouverte pour les ministres mais aussi pour les laïcs dont le parcours professionnel et de vie les pousse à rejoindre cette structure.