La crise sanitaire réveille le complotisme antisémite

La Fédération suisse des communautés israélites porte plainte contre le Parti des Suisses nationalistes, qui vient de republier dans son magazine «Les Protocoles des Sages de Sion», un texte antisémite qui semble vouloir profiter de l’ambiance de crise actuelle, propice au complotisme.
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La Fédération suisse des communautés israélites porte plainte contre le Parti des Suisses nationalistes, qui vient de republier dans son magazine «Les Protocoles des Sages de Sion», un texte antisémite qui semble vouloir profiter de l’ambiance de crise actuelle, propice au complotisme.

La crise sanitaire réveille le complotisme antisémite

11 février 2021
La Fédération suisse des communautés israélites porte plainte contre le Parti des Suisses nationalistes, qui vient de republier dans son magazine «Les Protocoles des Sages de Sion». Un texte antisémite qui pourrait bien profiter de la période actuelle, propice aux théories conspirationnistes.

La destruction de la chrétienté et la domination du monde selon un plan de conquête créé par des juifs et des francs-maçons, voici ce que contient «Les Protocoles des Sages de Sion», un document auquel Hitler fait référence dans «Mein Kampf». Rédigé par le bureau parisien de l’Okrhana, la police secrète des tsars, et publié pour la première fois en Russie en 1903, cet opuscule est un faux, destiné à entretenir la haine envers les juifs et relancer les pogroms. Le Parti des Suisses nationalistes (PNOS), qui vient de le republier dans son magazine «Harus», fait donc l’objet d’une action en justice initiée par la Fédération suisse des communautés israélites.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la FSCI porte plainte contre les dirigeants de ce parti. En 2020, le PNOS avait relayé sur son site une citation appelant à la stérilisation forcée des juifs. Dans son communiqué concernant la dernière plainte en date, la FSCI a relevé que «en particulier à l’époque de la pandémie du COVID-19, les mythes du complot, y compris ceux d’origine antisémite, ont de nouveau gagné en popularité».

Les synagogues de Genève et Lausanne ayant été visées par des actes antisémites début février, l’enseignant-chercheur de l’Université de Fribourg Pascal Wagner-Egger, spécialisé dans les croyances et les théories du complot, livre son analyse d’une période propice aux haines irrationnelles.

Peut-on donc voir un certain opportunisme de la part du PNOS à publier ce texte dans le climat actuel, propice à la résurgence et à la création de thèses complotistes?

Absolument. L’engouement pour les théories du complot que galvanise cette situation de pandémie, où règne l'incertitude ou l’incompréhension, est l’occasion pour certains groupements de faire infuser leurs accusations sans preuves. On a récemment vu un peu partout que l’extrême-droite profitait de s’inviter dans les manifestations des anti-masques. Son aptitude à intégrer toute forme de complot lui permet d’être d’autant plus puissante et convaincante. Les QAnon, par exemple, se disent apolitiques, mais ont assez clairement des préoccupations d’extrême-droite. Ils ne cachent qu’à eux-mêmes leur attitude politique; il suffit d’écouter leurs idées et leur conseil de vote en faveur de Donald Trump, et leurs liens avec les suprémacistes blancs.

Si donc on ressort ce texte chez les nationalistes suisses, c’est bien pour surfer sur la vague, car la tendance complotiste ambiante peut permettre une éventuelle adhésion à leur parti ou leurs idées. J'ai vu par exemple circuler des posts soulignant que le président de Pfizer était de confession juive…

Faut-il donc ne pas s’étonner, bien qu’il faille évidemment s’en offusquer, de phénomènes comme les récentes attaques contre des synagogues en Suisse?

Non, car la dynamique est pareille avec le racisme. C’est en latence et une situation de stress collectif fait ressortir ces opinions. Depuis le début de la pandémie, on note aussi une forme de racisme anti-asiatique, le virus étant parti de Chine. Il est donc clair que ces périodes d’anxiété favorisent un retour à l’irrationnel, le tout chapeauté par l’idée de trouver un bouc-émissaire, que ce soit donc des minorités ethniques ou religieuses. Cela peut aussi se retourner contre les gouvernements, les journalistes, les scientifiques ou certains laboratoires.

Il n’est donc pas surprenant que ces croyances soient réactivées actuellement. La notion de «Deep State» (théorie conspirationniste selon laquelle le pouvoir serait détenu secrètement par un «État dans l'État», ndlr), aux États-Unis, commet ainsi une constellation malheureuse. On accuse l’État, les banques, les juifs, les démocrates. Et en les accusant sans preuve des pires exactions comme la pédophilie, il n’y a plus de limite au soupçon paranoïaque.

Comment comprenez-vous que l’antisémitisme fasse régulièrement surface dans les théories du complot?

En Europe, on peut dire que les juifs représentent une minorité qui a réussi, même si elle a été autant voire plus persécutée qu’elle a réussi. La résurgence constante de l’antisémitisme dans les théories du complot est sans doute due au fait qu’elle est une minorité parmi les plus anciennes, et que de ce fait elle a été le bouc émissaire idéal, en faisant croire que ses membres seraient coupables de tous les maux (empoisonnement des puits pendant les pandémies) et plus puissants qu’ils le sont en réalité.

Le fantasme antisémite remonte à très loin. Dès les origines de la chrétienté, on a accusé les juifs d’avoir tué le Christ, ensuite d’être des suppôts de Satan, etc.… On les a mêlés à tout: au complot judéo-bolchévique comme à son opposé, l'exploitation capitaliste. Les juifs sont donc les victimes faciles du complot, qui relève toujours d’une accusation sans preuve, la meilleure réponse à l’absence de preuve étant que si l’on ne voit pas une ficelle, c’est bien qu’elle est rendue invisible par le complot en question. L’absence de preuve devient donc une preuve.

Le PNOS se dit-il donc que de toute façon, sa republication des «Protocoles» fera bien quelques adeptes? Un peu comme le faisait le film «Hold-Up», en tirant à vue sur un grand nombre de points différents pour rassembler les sceptiques?

Certainement. Toute propagande se base là-dessus. Avec «Hold-Up», l’idée était bien de trouver, en multipliant les sujets troubles, quelque chose pour chacun dans ce qu’on appelle un «mille-feuilles argumentatif». Ce sont des éléments d'apparence bizarre, y compris parfois de réels problèmes, qu’on cumule jusqu’à en obtenir une quantité suffisante pour donner l’impression qu’«il n’y a pas de fumée sans feu», même si chacun de ces éléments a une explication qui n'est pas toujours immédiate. On peut relever à quel point il est fascinant que toute théorie du complot soit basée sur ce même processus.

Si on prend les attentats terroristes du 11 septembre aux USA par exemple, un faisceau de questions et de données en apparence bizarres peut susciter le doute. Tant qu’on reste à ce qu’on appelle des «données erratiques», ces anomalies apparentes, on peut croire tout ce qu’on veut et associer n’importe quel groupe à n’importe quoi. Comme en sciences, il n'y a qu'un moyen de connaître la vérité (même provisoire) : il faut enquêter et apporter des preuves, et ne pas s'en tenir à des soupçons ou des coïncidences.

A-t-on une idée de ce qui serait un antisémitisme latent et ordinaire en Suisse?

Il est moins présent qu’en France, où il existe des institutions et associations très visibles qui défendent les intérêts de la communauté juive. Pour la population en général, cela crée un effet positif car la question de l’antisémitisme est souvent mise au centre du débat. Mais pour les minorités extrémistes, cela donne d’autant plus l’impression que la minorité juive est ultra-puissante. Cela nourrit le fantasme antisémite en France, avec en plus le conflit israëlo-palestinien qui évidemment n'arrange pas les choses.

Je dirais donc qu’en Suisse, même si le problème est moins présent, dans une période troublée comme la pandémie, les personnes célèbres issues de la communauté juive font les frais d'une certaine résurgence de la haine antisémite, comme l'humoriste Thomas Wiesel. Imaginez un peu si Alain Berset était juif…

 

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Pascal Wagner-Egger, Université de Fribourg