Pleins feux sur l’expérience religieuse
«L’Occident avait cru être la première civilisation à s’être débarrassée de la religion. Elle nous est pourtant revenue en force ces dernières années», lâche Benoît Remiche, initiateur de l’exposition «Dieu(x), modes d’emploi», à découvrir dès le 11 octobre à Palexpo. Destinée à un large public, la manifestation se donne comme mission de fournir aux citoyens, notamment aux jeunes générations, des clés de compréhension capitales pour le vivre-ensemble dans nos sociétés désormais pluriconfessionnelles.
Loin des dogmes et autres préceptes rigides, l’exposition a au contraire fait le choix de se focaliser sur l’expérience religieuse personnelle, «dans ce qu’elle a d’universel (ses interrogations» et de particulier (ses multiples pratiques)», notamment avec un fort accent mis sur les témoignages. Le point de vue adopté par les concepteurs est donc clairement celui de l’impartialité: «Notre volonté a toujours été de ne pas hiérarchiser les religions», insiste encore Benoît Remiche. «De fait, notre démarche s’inscrit pleinement dans l’exigence de laïcité, qui ne doit pas pour autant signifier le refoulement du religieux.» En Espagne, ce parti pris n’a d’ailleurs pas plus à l’Opus Dei, «pour qui une présentation équitable des différentes religions est juste inimaginable», relève le spécialiste.
Une réalité sous-estimée
«Ignorer l’infinie diversité religieuse, notamment à Genève, serait nourrir l’analphabétisme religieux et inviter au repli communautaire», renchérit pour sa part Isabelle Benoît, co-comissaire de l’exposition. Et d’enchaîner: «Le Conseil d’Etat genevois l’a bien compris: en soutenant politiquement l’exposition, il reconnaît la nécessité d’informer sa population et reconnaît qu’un canton laïque n’est pas un canton qui ferme les yeux sur la réalité des choses.»
Car le religieux est en effet encore bien présent dans notre pays, pourtant largement sécularisé. Selon les derniers chiffres du Centre intercantonal d'information sur les croyances (CIC), datant de 2013, le canton de Genève concentre pas moins de 369 communautés religieuses et spirituelles, regroupées en 13 groupes distincts, et dont 303 sont rattachées au christianisme. Ainsi, pour Isballe Benoît, cette «exposition contribue de fait à matérialiser la loi sur la laïcité de l’Etat».
Bouddhisme, judaïsme, christianisme, islam, hindouïsme et autres religions animistes, de l’Afrique à l’Océanie en passant par Amériques, seront ainsi représentées dans cette gigantesque exposition. Et si l’athéisme ou d’autres formes de religions sécularisées comme le communisme ou le maoïsme y feront également leur apparition, les autres formes de spiritualité seront laissées de côté. Pourquoi ce choix? «Une religion, c’est une spiritualité disciplinée, c’est-à-dire qui nécessite une communauté et agit en tant que telle», répond le co-commissaire Benoît Remiche. «Nous nous en sommes donc tenus à cette définition.»
Des adaptations sur-mesure
Exposée pour la première fois à Bruxelles en 2006, la manifestation a depuis largement voyagé à l’international, de Madrid à Varsovie, en passant par Paris mais également Québec et Ottawa outre-Atlantique. A chaque fois, celle-ci a été repensée, soit en fonction du lieu d’accueil, soit du pays. Ainsi, au Petit-Palais à Paris, l’accent était mis sur l’art sacré, alors qu’en Pologne, l’exposition a été plus orientée anthropologie, vu qu’elle était accueillie au Musée d’ethnographie de Varsovie. «Le concept de l’exposition est suffisamment solide pour supporter la durée et l’exportation, mais aussi suffisamment flexible pour être adapté à différentes situations», souligne Isabelle Benoît.
«Pour Genève, la modification la plus importante concerne l’ajout d’éléments sur le protestantisme», présente la commissaire. S’il faisait partie du concept d’origine, cette sensibilité se devait d’être renforcée, aux yeux des concepteurs. Par ailleurs, de nombreux témoignages mais également œuvres d’art ont été dénichés en terres romandes. «Il nous semblait important de donner des racines à cette exposition», formule encore Isabelle Benoît, qui pour ce faire a fait appel à la théologienne Isabelle Graesslé, ancienne directrice du Musée international de la Réforme. Par ailleurs, l’adaptation genevoise se voulant grand public, et à viséeelle sera entièrement gratuite: une première dans son histoire!
L’expo en chiffres
10 scènes thématiques où se côtoient différentes religions (corps, cultes, au-delà, conflits et co-existence, etc.)
2000 m2
200 objets (pièces de collection, photographies, installations multimédia et d’enregistrements d’entrevues)
40 objets provenant de 10 musées suisse
1 pièce de théâtre commandée
7e édition
500 000 visiteurs déjà au compteur
Un expo calvinisée pour l’occasion
Isabelle Graesslé, théologienne et ancienne directrice du Musée international de la Réforme, à Genève, a été chargée d’intensifier la part dévolue au protestantisme dans cette exposition. Interview.
Quel a été votre rôle dans l'adaptation de cette exposition pour la Suisse?
La Suisse est un pays multi-confessionnel et, dans la plupart des cantons, l’harmonie entre catholiques et protestants est maintenant bien assumée. Il fallait donc que les différentes confessions s’y reconnaissent de façon équitable. Or, pour des raisons évidentes, les précédentes déclinaisons de l’exposition, en terres catholiques, présentaient surtout ce point de vue. Nous avons donc élargi ou, selon les cas, privilégié l’apport du protestantisme dans l’exposition.
Concrètement, de quelle manière vous y êtes-vous prise?
Le travail a consisté à montrer la spécificité du protestantisme (par exemple sa compréhension du baptême ou de l’au-delà), mais aussi la différence entre les concepts et la traduction de ces concepts par les fidèles. Par exemple, dans le chapitre sur les intercesseurs, il aurait été facile de mettre en avant la particularité protestante de ne pas avoir de figure médiatrice, comme dans le catholicisme celle du prêtre. Or les fidèles protestants, certes très soucieux de leur liberté de conscience, reproduisent, souvent de façon inconsciente, un schéma d’attachement à une figure médiatrice, celle du ou de la pasteur-e. Nous avons donc choisi de ne pas mettre en avant le protestantisme sur cette question.
Au-delà des croyances, quelle empreinte a laissé le calvinisme sur notre sol?
Le calvinisme, spécifiquement genevois (dans les autres cantons suisses, c’est davantage un protestantisme réformé qui s’est développé, moins lié à la figure de Jean Calvin) a laissé une empreinte spéciale, de type anthropologique. Autrement dit, de nombreux paramètres calvinistes éthiques, sociaux voire politiques, ont passé dans l’ADN genevois au fil des siècles et aujourd’hui encore, à Genève, on peut être athée, juif ou catholique et «se sentir» calviniste.
Quels sont ces paramètres calvinistes précisément?
Au départ on pense surtout à une éthique stricte quant aux mœurs, à l’habillement, aux repas, à l’économie en général. Par contre, je n’aime pas le terme d’austérité qui ne convient pas du tout à Calvin. C’est le siècle qui est austère, pas le personnage. Cette éthique se résume par le devoir, l’engagement, l’effort et la volonté.
Plus profondément, la psyché calviniste, c’est celle d’un individu seul face à Dieu, sans médiations sacrées et sans clergé régulateur. C’est aussi ce caractère qui exige de donner le maximum de soi à son Dieu et à son prochain, dans le travail, dans la production de biens matériels, mais aussi dans les relations humaines.