Le fisc américain reconnaît le Temple satanique comme religion
L’enjeu est de taille. Dans une déclaration, Lucien Greaves, fondateur du Temple satanique, l’a affirmé: «L'acceptation de l'exonération de l'impôt religieux – plutôt que d'y renoncer en signe de protestation – peut nous aider à mieux affirmer nos revendications d'égalité d'accès et d'exonération tout en mettant fin à tout soupçon que nous ne possédons pas les qualifications d'une véritable organisation religieuse.» C’est dit. «Le satanisme est là pour rester», a-t-il ajouté.
Un membre du Temple a fait une déclaration similaire dans la bande-annonce du documentaire «Je vous salue Satan», qui décrit les tentatives de l'association pour ériger une statue de Satan sur un terrain public.
«Je suis un code d'éthique, je suis en communion avec mes frères. Pourquoi je ne peux pas être une religion?» demande-t-il.
C'est une question que les spécialistes de la religion débattent depuis longtemps, déclare Benjamin Zeller, professeur agrégé de religion au Lake Forest College, dans l’Illinois, qui étudie les nouveaux mouvements religieux. «Les universitaires qui passent leur vie à faire de la recherche et à enseigner les religions n'arrivent toujours pas à s'entendre sur ce point», confie-t-il. «Quand j'explique cette réalité en classe, je la compare toujours au phénomène de l'art. Les artistes peuvent passer leur vie à faire de l'art, mais n'arrivent pas à trouver une définition formelle de ce qu'est l'art.»
Alors que les tribunaux sont aux prises avec les implications du Premier Amendement de ce qui est – et n'est pas – une religion, les universitaires qui étudient la religion ont convenu que le terme est glissant.
La foutaise d’un autre
La religion d'une personne est la foutaise d'une autre. Même les religions ayant des siècles d'ancienneté, qui font l'objet de droits acquis dans le «vrai» club des religions, ont souvent des adhérents sur les bancs (ou en ligne) qui ne sont pas d'accord sur les personnes qui peuvent dire ce que signifie faire partie d'un groupe religieux. Même les satanistes ne s'entendent pas sur qui sont les vrais fidèles. Le site web du Temple satanique comporte d’ailleurs une section qui met en contraste son travail avec celui de l'Église de Satan.
Cependant, les religions bénéficiant de droits acquis étaient autrefois dénoncées comme des sectes. Benjamin Zeller demande alors à ses élèves de lire la lettre que Pline le Jeune écrivit à l'empereur Trajan au sujet du christianisme primitif au deuxième siècle. «Ce gouverneur romain se plaint des chrétiens et utilise tout un langage anti-secte», commente le professeur. «Il dit qu'ils ont des réunions secrètes, qu'ils volent des enfants aux familles, qu'ils se livrent à des pratiques sexuelles bizarres et qu'ils perturbent l'ordre social. Vous pouvez simplement remplacer «chrétiens primitifs» par le nom de la secte que vous craignez.»
Pourtant, toutes choses étant égales par ailleurs, les Américains ont tendance à donner foi aux religions plus anciennes, même s'ils les trouvent étranges ou ne les comprennent pas. «Nous sommes prêts à accepter à contrecœur qu'elles aient leur place à la table de la religion, quelle qu'elle soit ce que ce mot représente pour nous», poursuit Benjamin Zeller.
L’exemple mormon
Matthew Bowman, professeur agrégé d'histoire à la Henderson State University, dans l’Arkansas, a beaucoup écrit sur l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et est l'auteur, plus récemment, de «Chrétien: la politique d’un parole en Amérique». Ce spécialiste pense que la théologie du mormonisme est un baromètre efficace pour mesurer ce que les Américains pensent être de vraies ou de fausses religions.
Quand Joseph Smith était vivant, le fondateur de cette Église mormone (qui a été tué en 1844,) était considéré un escroc. C’est ainsi que cette théologie a été considérée comme une grande escroquerie par beaucoup de monde. Or, quand les membres de cette Église se sont établis en Utah, leur foi a été pensée comme un mouvement politique, relate Matthew Bowman, et au XXe siècle, le mormonisme a été considéré comme une entreprise. Aujourd'hui, les saints des derniers jours sont entrés dans le paysage.
Les Américains jugent les mérites des saints des derniers jours et d'autres groupes religieux – y compris les catholiques romains – en utilisant la théologie dominante de la nation comme modèle, expose Matthew Bowman. «Nous avons tendance à penser la religion en termes protestants. C'est-à-dire: la vraie religion est une question de croyance», formule-t-il. Et d’ajouter: «Les groupes qui n'entrent pas dans cette catégorie sont souvent suspects.»
Benjamin Zeller est d'accord avec le postulat que les attentes protestantes des Américains en la matière sont que les religions doivent comporter certaines croyances et une figure divine ou d'être semblable à une déité, que ses adhérents doivent prendre au sérieux.
«Il faut que ce soit au centre, une sorte de structure et d'identité dans votre vie», dit-il. «Cela signifierait donc que les religions de plaisanterie et les choses qui sortent de la fiction ne devraient peut-être pas compter. Et c'est là que ça devient vraiment intéressant.»
Star Wars et l'Église du monstre spaghetti
Des Jediistes – inspirés par «Star Wars» – à l'Église du monstre spaghetti volant en passant par l'Église de la modification corporelle, dont les membres considèrent le tatouage comme une pratique spirituelle, il existe de nombreux groupes qui résistent à la définition de religion, si on adopte une approche protestante.
«Et si je dis: «Dieu m'a parlé hier et m'a dit de fumer de la dope en public. Les tribunaux doivent-ils me prendre au sérieux?» soulève Benjamin Zeller. Matthew Bowman a noté que certains pays autorisent les gens à se déclarer Jediistes sur les recensements. «Dans quelle mesure le public, ou l'État, a-t-il intérêt à juger si l'Église du monstre spaghetti volant ou du Jedi est une religion légitime ou non? Voulons-nous vraiment que le gouvernement se prononce là-dessus?» Et dire que la croyance pratique peut signifier le test décisif ne suffira pas. Le conseiller de thèse de Matthew Bowman, un athée autoproclamé, a bien fêté la Bar Mitzvah de son fils, raconte-t-il…
Marc Stern, avocat général au Comité juif américain, considère la question juridique de ce qui est et n'est pas une religion comme une cible mouvante pour le moment. «Les professeurs de droit adorent jouer avec cette question», affirme-t-il. «En pratique, ce n'est pas si difficile que ça. La plupart des gens qui prétendent être religieux le sont de façon reconnaissable.»
Un combat politique
En Oklahoma, le Temple satanique a essayé d'installer une statue de Baphomet – une figure satanique ailée à tête de chèvre – après que les législateurs eurent approuvé un monument dédié aux dix commandements. Le Temple satanique, qui revendique 100’000 membres en ligne, a alors plaidé pour l'égalité d'accès. La Cour suprême de l'État a finalement statué que le monument des Dix Commandements était inconstitutionnel.
Au Massachusetts, les satanistes ont intenté une action en justice après que leur demande d'invocation lors des réunions du Conseil municipal de Boston ait été rejetée. Ils s'inspirent d'une décision rendue en 2014 par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Town of Greece v. Galloway, qui a maintenu la pratique consistant à commencer les réunions du Conseil par des prières.
«Du moins, de l'avis de la Cour, ce n'était pas dans l'intention de limiter l'assistance aux chrétiens. C'était juste quelqu'un qui a sorti l'annuaire téléphonique et l'a feuilleté», narre l’avocat. «L'opinion de la Cour suggère que s'il y avait une tentative délibérée d'exclure l'un ou l'autre groupe religieux, ce serait une autre histoire. Et les satanistes jouent là-dessus.»
Une catégorie hors normes
Or même si des questions sur ce qu'est une religion et ce qu'est une secte sont posées depuis des décennies, les Américains pensent la religion de différentes manières aujourd'hui, selon Marc Stern, qui renvoie à l'article du professeur Micah Schwartzman de la faculté de droit de l'Université de Virginie intitulé «Et si la religion n’avait rien de spécial?».
«C'est un changement qui s'est produit depuis que travaille dans ce domaine. Il fut un temps où même les gens qui s'opposaient aux accommodements religieux comprenaient que la religion jouait un rôle particulier dans la vie des gens. Pour beaucoup de gens, cela est fini», constate encore l’avocat.
Le Congrès est largement favorable à la modification de la loi sur le rétablissement de la liberté religieuse. Et en Europe, la conception de la religion comme n'ayant rien de spécial a conduit à de sérieuses menaces à la shehita, l'abattage kascher rituel juif, et aux vêtements islamiques traditionnels. Certains font valoir que l'élimination des exemptions permettra d'éviter la difficile question de définir ce qui est et ce qui n'est pas une religion. Mais cela ne mettra pas fin aux débats juridiques sur la religion.
«On ne peut pas échapper à ces questions si l'on veut aborder la question de la religion», déclare encore l’avocat. «Si vous avez une disposition sur la religion, vous allez devoir décider de ce qui concerné et ce qui ne l’est pas.» Comme la réalisatrice Penny Lane l'a exprimé au média Vox, elle a d'abord pensé que le film parlait de gens qui se moquaient de la religion, pour ensuite apprendre qu'il s'agissait d’une religion. Et de confier: «J'ai adoré l'idée de voir une nouvelle religion naître, juste devant nos yeux, et à quel point elle a l'air ridicule et bizarre, surtout si vous n'en faites pas partie!» Menachem Wecker, RNS/Protestinter