Henry Mottu: «En même temps résister et viser la paix»

Henry Mottu / ©Patrick Gilliéron Lopreno
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Henry Mottu
©Patrick Gilliéron Lopreno

Henry Mottu: «En même temps résister et viser la paix»

Trajectoire
Son credo d’objecteur de conscience lui valut naguère la prison. Revenant sur son parcours de pacifiste, le théologien n’exclut plus la résistance armée contre la tyrannie. Mais toujours en vue de la paix.

Pacifiste chrétien, pas idéologue. D’entrée de jeu, Henry Mottu met les choses au point: son pacifisme est une question de foi, non un dogme politique. Au bout de trois minutes, il parle du Sermon sur la montagne (voir encadré).

Le christianisme, souligne le théologien genevois, est une religion historique, incarnée dans le temps. «Comment allez-vous interpréter l’Ecclésiaste: ‹il y a un temps pour tout; un temps pour la paix, un temps pour la guerre›? C’est quand même révolutionnaire! Je reviens toujours à Karl Barth, qui fut mon professeur à Bâle, et à Dietrich Bonhoeffer, pasteur pacifiste exécuté pour fait de résistance. Chacun l’a dit à sa façon: il y a un temps pour tout… un temps pour essayer de comprendre les Allemands et un autre temps où il faut les combattre.»

Avoir la foi, c’est chercher Dieu

La paix comme objectif

Le principe est transposable à la guerre actuelle, à condition de respecter l’exigence fondamentale que le pacifiste souligne avec force: il s’agit de privilégier toujours la construction de la paix. Se défendre si l’on est attaqué, d’accord, mais en tout temps travailler à la paix: «en même temps résister et viser la paix».

Ferme sur les principes, il n’en est pas moins l’homme du «en même temps». Si sa conversation se révèle joviale et détendue, elle reste intellectuellement pointue, en tension. Le prétexte en est son dernier livre, Artisans de paix. Entre pacifisme et résistance. En juillet, Réformés (p.10) a rendu compte de ce bilan de son expérience personnelle, de sa vie de recherche et de transmission. Henry Mottu y expose ce qu’il nomme «une conception existentielle de la théologie comme un vécu devant Dieu», et deux constantes se dégagent: l’espérance et, comme une évidence, le doute. «Avoir la foi, c’est chercher Dieu.»

Henry Mottu, qui doit à son grand-père pasteur le «y» grec de son prénom et probablement sa vocation, a eu un destin que n’imaginait pas l’objecteur de conscience jeté pour six mois à Saint-Antoine, avant de quitter le pays pour échapper à de nouvelles condamnations et de terminer à Göttingen les études entamées à Bâle. Deux ans plus tard, mari de Liliane Mottu-Weber, historienne genevoise, le voici de retour au bord du Rhin, suffragant et animateur de jeunesse. Grâce à une bourse de recherche, il emmène sa famille à Paris, où il fréquente Paul Ricœur et André Dumas à la Faculté protestante, tout en étudiant, sous l’impulsion du dominicain Marie-Dominique Chenu, ami des prêtres ouvriers, la pensée du moine calabrais du XIIIe siècle Joachim de Flore. Aucun hasard, le joachimisme, considéré comme hérétique, contestait l’Eglise au nom de l’idéal de pauvreté.

Henry Mottu s’affirme comme pur théologien et enseignant. Sa leçon de doctorat s’intitule «Pourquoi la théologie réformée refuse-t-elle les preuves classiques de l’existence de Dieu?» Assistant du professeur Jacques de Senarclens, il est invité par l’Union Theological Seminary de New York. Avec sa femme et leurs deux fils, il y passe deux ans et s’y familiarise, grâce à son ami Jim Cone, avec la Black Theology, version noire américaine de la théologie de la libération née au Pérou.

Guérir les mémoires

A son retour, il est à la fois directeur du Centre de rencontres et de formation de Cartigny et pasteur du village. Il organise de nombreux colloques et cofonde l’Atelier œcuménique de théologie, qui s’adresse à des laïques : relecture critique de l’histoire des dogmes, des liturgies du présent et du passé, en vue de « la guérison des mémoires ». Toujours la préoccupation d’une foi vécue, enracinée dans le temps. « Je me suis beaucoup occupé de l’Eglise, de l’intérieur, pour la transformer. »

Rencontres, conférences, congrès dans les réseaux du Conseil œcuménique des Eglises (COE), Henry Mottu sillonne le monde, retourne une année enseigner à New York, préside le Forum international du COE lors du 450e anniversaire de la Réforme. De 1988 à 2004, il est professeur de théologie pratique à l’Université de Genève et enseigne aux Facultés de théologie de Yaoundé et de Porto-Novo.

Invité à donner des conférences en des lieux monastiques, il y retourne volontiers pour des retraites personnelles. Une fibre mystique? «J’y vais en tant que priant.» Discret sur sa vie spirituelle, il vibre toutefois en évoquant vêpres et complies à La Pierre-qui-Vire, ses séjours chez les sœurs de Grandchamp et, à la Communauté de Bose, «les psaumes en répons, femmes d’un côté, hommes de l’autre. Merveilleux!»

Bio express

1939 Naissance à Genève.

1958 Etudes de théologie à Bâle; vit à l’Alumneum, maison pour étudiants étrangers dirigée par le professeur Oscar Cullmann.

1961 Emprisonné six mois à Saint-Antoine pour objection de conscience.

1965 Naissance d’Eric, puis d’Emmanuel en 1969.

1970 - 1972 Professeur assistant à l’Union Theological Seminary de New York. Invité à nouveau en 1976-77.

1988 - 2004 Professeur de théologie pratique à la Faculté de théologie de Genève.

2020 Publie James H. Cone. La théologie noire américaine de la libération, 117e titre de la liste de ses livres et articles sur le site de l’Université de Genève.

2023 Artisans de paix. Entre pacifisme et résistance, Labor et Fides.

Evangile et objection

«La parole ‹aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent› est fondamentale pour moi. C’est une exigence du Christ. Mais le christianisme n’est pas une loi ni une marche à suivre, il est impossible de tirer une casuistique des Evangiles.

Certes, on cite souvent Romains 13: ‹Que toute personne obéisse aux autorités.› Qu’elle les respecte, oui, mais pour des raisons de conscience, comme le souligne l’apôtre Paul; j’en conclus, avec le professeur Franz J. Leenhardt, que si l’on introduit la conscience dans l’obéissance, il devient possible de faire à l’autorité une objection de conscience. Car le chrétien ne doit pas obéir aveuglément, jamais! La manière de suivre Jésus est la responsabilité de chaque personne.

Et puis il y a aussi Apocalypse 13, la Bête qui monte de l’abîme; c’est un appel à résister à ce qu’on appellerait aujourd’hui le totalitarisme.»

Ecouter l'émission Babel du dimanche 3 septembre 2023: Pour un pacifisme conditionnel. Henry Mottu en entretien avec Matthias Wirz.