«Le christianisme offre le plus grand message d’espoir»
Que signifie pour vous le message de Noël?
Le message de Noël nous transporte vers l’intérieur, il évoque un sentiment de familiarité et de sécurité. Le récit de la Nativité selon Luc raconte l’histoire de différentes personnes qui se déplacent. Joseph et Marie se mettent en route pour Bethléem. Ils ne trouvent pas d’auberge, ne savent pas où dormir et finissent pas atterrir dans cette étable où l’enfant va naître. Les premiers témoins de cet événement, ce sont des bergers dans les champs, qui dorment peut-être à la belle étoile, qui en tout cas n’étaient pas chez eux dans une maison chauffée et confortable, et qui se mettent en chemin vers la crèche. Ensuite, l’histoire des Rois Mages du Pays du Levant: ils ont entrepris un long voyage pour arriver à cette étable en suivant l’Étoile. Toutes les personnes intervenant dans l’histoire de Noël sont en voyage.
Ce qui me touche particulièrement, c’est la suite de l’histoire selon Matthieu. Le roi Hérode veut tuer l’enfant, éliminer ce nouveau-né roi qu’il considère comme un concurrent. La famille de Jésus est donc poursuivie politiquement. Et elle survit uniquement parce que l’Égypte a ouvert ses frontières et lui permet de trouver asile. Ce sont des allusions à notre époque qu’on ne peut certes pas transposer directement, mais qui nous donnent à penser aujourd’hui.
À l’heure de la mondialisation, l’intérieur ce n’est plus le pays, c’est l’Europe. Comment se porte la «maison Europe»?
Je crois que l’Europe a une grande responsabilité dans le monde. Nous vivons aujourd’hui une mondialisation de l’économie. Les relations économiques n’ont cessé de s’intensifier à l’échelle de la planète. Par contre, nous n’avons pas encore réussi à développer une «mondialisation de l’humanisme». La Bible dit que chaque être humain est créé à l’image de Dieu. Chaque être humain a une dignité. Toutes les relations économiques à l’échelle du monde doivent véritablement s’orienter sur ce constat, afin de ne pas avantager qu’un petit groupe de personnes. Le bien-être des sociétés devrait être évalué au niveau de leurs membres les plus faibles. C’est la direction vers laquelle nous oriente la Bible et la tradition chrétienne.
Vous plaidez pour la réconciliation en Europe, n’est-elle pas achevée?
On ne rappellera jamais assez la valeur incommensurable de ce projet de paix qu’est l’Europe. Après deux guerres mondiales effroyables et des millions de morts, l’Europe a apporté la paix à un grand nombre de pays.
L’idée fondamentale de l’Europe, c’est la coopération, la collaboration, la reconnaissance de notre condition humaine commune. Cette idée est aujourd’hui mise à mal par de nouveaux mouvements de droite populiste et par des tendances nationalistes au sein des populations. Je pense qu’en tant que chrétiens, nous sommes appelés à porter haut et fort cette idée de la communauté humaine, à promouvoir une Europe inclusive et ouverte, une Europe qui tire véritablement les leçons de l’Histoire.
Y a-t-il de nouveaux risques de conflits en Europe?
Je vois des risques. Dans les pays européens, à différents degrés, nous observons des mouvements simplificateurs qui veulent faire croire aux gens que, si on se met soi-même au premier rang, le pays ira mieux.
Aux États-Unis, le président a établi un programme que s’appelle «America First». Et en Allemagne, un mouvement de droite populiste fait campagne avec des affiches clamant «L’Allemagne d’abord», «Rendez-nous notre pays» ou «Reprenez le contrôle de votre pays». Tous ces slogans nous nuisent, ils font monter les tensions, ils en appellent aux instincts les plus bas, et non pas à la générosité, à l’humanité, à l’amitié et à l’équité.
Quel regard portez-vous sur le Brexit?
Nous sommes en contact étroit avec les Églises en Grande-Bretagne. En tant qu’Églises, nous pouvons être des forces de réconciliation. Grâce à cette base religieuse commune, nous pouvons essayer de dépasser les simplifications, et renforcer notre écoute sur des points que parfois nous ne comprenons pas.
Je pense, tout particulièrement, que lorsque la Grande-Bretagne sortira réellement de l’Union européenne, si à ce moment-là on assiste à une nouvelle montée d’émotions, les Églises auront un rôle important à jouer. Nous expliquerons, et j’en ai parlé en détail avec l’archevêque de Canterbury, que personne ne peut nous séparer. Indépendamment des structures politiques, que la Grande-Bretagne soit membre de l’Union européenne ou pas, beaucoup de forces dans la société civile vont s’allier pour couper la route à une remontée des nationalismes, et promouvoir la coopération, pour continuer à vivre ensemble dans l’amitié.
Pendant l’avent, l’Église protestante en Allemagne a organisé une collecte de fonds en faveur d’un bateau pour les migrants. Comment mettre fin à ces drames en mer?
Les bateaux de sauvetage en Méditerranée jouent un rôle crucial en faveur de l’humanité et de la dignité humaine dans le monde entier. Les personnes montent dans ces canots par désespoir, parce qu’elles n’ont plus rien à perdre. Et elles se trouvent véritablement en danger de mort. L’Union européenne avait une mission de sauvetage en mer, l’opération Sophia, qui devait démanteler les bandes de passeurs. Cette opération a permis de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies, mais aujourd’hui elle a été arrêtée sans mettre en place de relève.
À l’heure actuelle, les États européens n’ont plus de mesure en place pour sauver les naufragés de la noyade en Méditerranée. Certes, des organisations de sauvetage civiles sillonnent la Méditerranée et sauvent des vies, mais d’autres milliers de personnes continuent de se noyer.
Il est inadmissible que des êtres humains soient simplement livrés à la noyade sans secours. Et en même temps, il faut résoudre les problèmes autour de la migration, façonner une politique de l’immigration, réfléchir à ce que nous pouvons faire pour créer des perspectives pour les populations dans leurs pays d’origine, pour que justement elles ne se mettent pas en route. Il faut également changer les conditions dans les camps libyens, pour que les droits de l’homme n’y soient plus bafoués comme c’est le cas actuellement. Une fois qu’on les a sauvés, les réfugiés doivent être répartis dans différents pays. Beaucoup de pays africains très pauvres accueillent des millions de réfugiés. L’Europe et ses États membres pourraient accueillir ce nombre très restreint de réfugiés afin de leur donner accès à une procédure de demande d’asile qui va constater s’ils ont le droit de rester ou pas.
Il y a un domaine où la différence entre l’intérieur et l’extérieur n’a plus de sens, c’est le climat. Est-ce qu’on en fait assez?
Non, les mesures actuelles ne suffisent pas. Aujourd’hui déjà, des populations sont victimes du changement climatique, notamment dans certains pays d’Afrique, où il devient de plus en plus difficile de se nourrir. Les émissions de CO2 en l’Allemagne se situent entre 9 et 10 tonnes par habitant par année, celles en Tanzanie, par exemple, sont de 0,1 tonne. Ceux qui ont le moins contribué aux causes du changement climatique en sont les premières victimes. C’est une question de justice et d’équité, maintenant, mais aussi vis-à-vis des générations à venir. Il n’y a aucune raison éthiquement responsable qui nous autoriserait à dire: nous nous servons aujourd’hui de tout ce dont nous avons besoin pour continuer notre mode de vie, sans nous préoccuper de savoir si les générations futures auront encore les moyens de subsister. Ce n’est pas admissible. En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas l’accepter. Il faut réfléchir en profondeur à une modification de notre mode de vie en vue de le rendre climatiquement neutre. Mais il faut aussi qu’on élève nos voix dans l’espace public pour faire en sorte que la politique aille dans le bon sens.
Pensez-vous que les Européens, les Occidentaux, auront le courage de changer leur mode de vie?
Je pense que la réponse à cette question montrera si nous prenons vraiment au sérieux les bases de l’Europe, ses bases chrétiennes. Le christianisme offre le plus grand message d’espoir que le monde ait entendu. Il nous dit que Dieu a sauvé son peuple de l’exil à Babylone où les hommes étaient désespérés et ne voyaient plus d’avenir, et qu’il a ramené ce peuple chez lui, sur ses terres. Il nous parle d’un homme, Jésus de Nazareth, dans lequel Dieu, lui-même, s’est incarné. Un homme qui meurt sur la croix et dit dans un cri de désarroi: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» Tout semble fini. Plus aucun espoir. Et puis, les hommes vont découvrir le Christ ressuscité. Ils vont voir que la mort ne gagne pas. Que la violence ne gagne pas. Que la vie est plus forte.
Si nous vivons avec ce message d’espoir, nous sommes capables d’agir, nous changeons le monde et nous apportons notre pierre à ce que la nature ne soit pas détruite.
Sur RTS Un
Heinrich Bedford-Strohm apportera la prédication au culte de la veillée de Noël, diffusé mardi 24 décembre, à 23h sur RTS Un. Un grand entretien de ce théologien suivra à 23h45.