Le christianisme obligé de diversifier son offre
«Dans l’acception actuelle de ces mots, la religion est perçue négativement, car liée à des contraintes et des institutions alors que la spiritualité est vue comme de l’ordre du développement personnel, du vécu, du subjectif», constate Jean-Christophe Emery, directeur de Cèdres formations, un service lié à l’Église réformée vaudoise qui propose des cours en théologie pour les adultes. Pour répondre à la demande de spiritualité, Cèdres formations a décidé d’ouvrir un nouveau cursus, appelé «formation d’approfondissement spirituel et théologique» (FAST)*. Une soirée de présentation de ce nouveau cursus est prévue le 2 octobre à Lausanne. Il s’adresse à toute personne souhaitant «expérimenter et découvrir différentes pratiques chrétiennes.» Dans le même temps, la faculté de théologie de l’Université de Genève propose pour la première fois un cours sur cette thématique (voir ici).
Démarche personnelle
«Aujourd’hui, la spiritualité est vécue dans l’idée d’un épanouissement personnel. Elle n’est pas forcément liée à une certitude de l’existence de Dieu», remarque Jean-Christophe Emery qui se dit convaincu qu’«historiquement, religion et spiritualité sont plutôt complémentaires». Comment alors réhabiliter la religion? « ’aime bien me souvenir que la religion n’est pas seulement racine, tournée vers le passé ou richesse pour le présent, mais aussi ressource pour aller de l’avant», dévoile le théologien.
David Bouillon, professeur de théologie pratique et spiritualité à la Haute école de théologie (HET-pro) à Saint-Légier (VD) constate lui aussi l’omniprésence d’un intérêt pour la spiritualité. «On ne peut pas dire que nous sommes dans une société sécularisée. Il suffit de se rendre dans un bureau de poste pour le réaliser. Les nombreux ouvrages proposés sur les rayons font une grande part à la spiritualité orientale et au développement personnel.» Cette recherche anime l’ensemble de la société. Toutefois, il se dit parfois très surpris de la direction que peut prendre cette quête: «Certaines personnes sont prêtes à croire, sans aucune remise en question, aux pouvoirs des cristaux ou à la magie des couleurs.»
Le professeur a également noté un attrait grandissant pour les spiritualités plus monastiques: «Des retraites dans la communauté des sœurs de Saint-Loup (VD) attirent autant les personnes qui n’ont pas de pratique religieuse assidue que les plus convaincus des pentecôtistes évangéliques.» Un mélange qui lui semble correspondre à l’air du temps: «Il y a une volonté d’ouverture de part et d’autre. Il arrive par exemple de voir une icône orthodoxe dans certains lieux de prière protestants, sans que cela suscite un scandale.»
Les Églises apprennent le marketing
David Bouillon souligne encore que la spiritualité «à la carte» est aussi un phénomène qui s’observe, principalement dans les centres urbains: «Beaucoup de personnes veulent rester maîtres et choisir la forme qu’elles veulent donner à leur quête de spiritualité.» Pour le professeur, ces personnes ne sont pas très attirées par les offres traditionnelles et recherchent des expériences plus particulières, que cela soit un grand rassemblement gospel ou une prière méditative dans le style de Taizé. Pour lui, cette situation implique que les Églises adaptent leur offre.
Sommes-nous entrés dans une logique de marché religieux? «Oui», répond, en 2001 déjà**, le physicien et théologien Gérard Donnadieu. Il constate que les Églises n’ont pas d’autre choix que de s’adapter aux logiques de marché. «La segmentation du marché de la croyance exige de proposer désormais des menus à la carte: communauté de prière, équipe de partage, formation biblique, grands rassemblements festifs, retraites dans des monastères, célébration pour les jeunes, pour les séniors, pour les familles, etc. Beaucoup d’Églises chrétiennes sont aujourd’hui engagées dans cette stratégie de diversification.»