Clandestins à douze ans

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Clandestins à douze ans

18 avril 2010
Parce qu’ils sont nés dans une famille sans papiers, ou pour suivre leur mère immigrée, des milliers d’enfants résident illégalement sur le territoire suisse. L’école obligatoire terminée, impossible ou presque pour ces « clandestins » de trouver un apprentissage. Tandis qu'une décision politique est attendue au niveau national, ProtestInfo a rencontré Oscar Tosato, municipal aux écoles de Lausanne, à l’origine de l’initiative de sa ville d’engager des apprentis sans papier.

Par Sylvain Stauffer


Pour les adolescents sans papiers, aux difficultés identitaires liées à l’âge, s’ajoutent des obstacles quotidiens et une incertitude quant à leur avenir professionnel. Maria, 23 ans, universitaire et Samy, 12 ans, élève en 6ème année sont des sans papiers, des « illégaux ». Venus en Suisse pour retrouver leur mère et leur famille, ces jeunes voient leur futur hypothéqué pour un problème de permis. Sans le précieux sésame, peu de chances de trouver un apprentissage ou un emploi après leurs études. Ils ont accepté de témoigner lors d’une table ronde organisée à l’occasion du vernissage de l’exposition « Aucun enfant n’est illégal », à Lausanne.

Un bout de papier pour rêver

« J’ai toujours rêvé d’être médecin », déclare Samy. Mais comment s’investir totalement à l’école quand on sait que du jour au lendemain tout peut s’arrêter ? Et même si ces jeunes parviennent au bout de leurs études, leur futur reste compromis. « On ne peut pas se projeter dans l’avenir. Il n’y a pas d’issue. Quand j’aurai fini mes études, sans permis ça sera bloqué » explique Maria.

« J’essaie de tout faire comme les autres, mais il y a toujours quelque chose pour me rappeler mon statut. Des amis qui partent en vacances par exemple ou l’impossibilité de faire mon permis de conduire », confie la jeune clandestine. « On ne peut pas devenir adulte comme les autres. J’ai 23 ans et j’habite toujours chez ma mère.

Je ne peux pas me dire que j’ai envie de partir de chez moi. Je vois tout le monde qui le fait autour de moi, mais j’ai l’impression que pour moi ce n’est pas possible, il y a toujours des barrière. Par exemple, je peux perdre mon travail demain et ne plus pouvoir payer mes charges.  Il y a plein de difficultés qui me rappellent, au quotidien, que je n’ai pas de permis. »

« Enfermés » en Suisse

L’obligation de se cacher pour ne pas être repéré est pesante. L’impossibilité de quitter la Suisse également. « En 7ème, ma classe part à l’étranger pour le voyage d’étude, mais je ne pourrai pas y aller avec mes copains car je n’ai pas de permis. Et cela fait des années que je n’ai pas revu mon pays », raconte Samy.

Pour Maria, il y a une contradiction : « Certains ne veulent pas de nous ici, pourtant on ne peut pas partir pour les vacances. Alors, comment veut-on que je garde des liens avec mon pays ? Comment peut-on nous dire que l’on n’a pas de lien avec la Suisse et que l’on doit rentrer dans notre pays, si cela fait huit ans qu’on est, entre guillemets, « enfermés » en Suisse ? ».

Déblocage politique

En février, la ville de Lausanne annonce qu’elle va engager des apprentis sans papiers. Un mois plus tard la municipalité de Genève lui emboîte le pas. Ces décisions font suite à un constat d’injustice : au terme de la scolarité obligatoire, les jeunes sans papiers peuvent poursuivre leurs études au gymnase ou dans une école professionnelle, mais n’ont pas la possibilité d’effectuer un apprentissage.

La décision des deux villes est aussi un « acte politique », selon Oscar Tosato, destiné à réveiller l’opinion et à faire pression sur les Chambres fédérales au moment où elles sont saisies sur ces questions.

Lors de la session parlementaire de printemps 2010, le Conseil national a accepté deux motions (les motions Hodgers et Barthassat) visant à permettre l’accès des sans papiers à la formation. Reste à passer le cap, plus difficile, du Conseil des Etats. Si les motions sont acceptées, la loi devra changer. L’occasion peut-être pour la Suisse de respecter ses engagements internationaux et la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée en 1989. (Sys)


Sylvain Stauffer: De plus en plus de villes se joignent à la municipalité de Lausanne dans son combat pour le droit à la formation des mineurs sans papiers…


Oscar Tosato: Oui, les villes de Suisse sont réunies au sein de l’Union des villes suisses. Dans cette association, il y a des associations faîtières, dont l’Initiative des villes qui réunit toutes les grandes villes de notre pays. Son comité a écrit une lettre à la commission politique du Conseil des Etats pour lui demander de voter pour la motion Barthassat comme l’a déjà fait le Conseil national (ndlr : cette motion demande que les jeunes sans statut légal qui ont effectué leur scolarité en Suisse aient accès à l’apprentissage). Cette lettre est partie le 15 avril. Parmi les grandes villes signataires il y a notamment Berne, Lucerne, Aarau, Genève, Lausanne, Bâle et Zurich.

Concernant l’engagement par la municipalité d’apprentis sans papiers, qui est prêt à vous suivre ?

Il y a Genève. D’autre part, il y a déjà des municipalités qui ont engagé des adultes sans papiers. Ce sont souvent des requérants d’asile qui n’avaient tout à coup plus de papiers et se retrouvaient clandestins, mais qui en ont eu autrefois. Ainsi le syndic de Bassins, Mr Lohri a défendu un de ses employés, requérant d’asile débouté. Pendant 4 à 5 ans il a travaillé pour la commune et quand il a été débouté, la municipalité a décidé de le garder, de le soutenir et de faire tous les recours possibles.

Enfin, il y a une énorme hypocrisie : quand nous engageons des employés, nous avons l’obligation de ne pas engager des personnes sans papiers. Mais si nous engageons pour un travail des sociétés de services, nous n’avons pas l’obligation de contrôler leurs employés. Or il y a bien des villes qui travaillent avec des prestataires de services. Ainsi, par exemple, si à l’office cantonal du travail le nettoyage des bureaux est fait par une entreprise privée, il est tout à fait possible que le bureau d’un de ces chefs d’office soit nettoyé par un sans papiers. Nous voulons en finir avec cette hypocrisie.

En transgressant la loi pour faire avancer vos valeurs, vous semblez dire que la morale est au-dessus des lois…

Nous avions une conscience totale de l’impossibilité légale d’engager un apprenti sans papiers sans tomber sous le coup de dispositions pénales. Toutefois, ces dispositions pénales ne sont pas de droit divin, elles sont le fait des hommes. Donc il faut changer ces dispositions pénales. Pour les changer, il faut changer la loi pour qu’elle ne s’applique pas, et pour ça il faut provoquer ce changement. Et notre proposition visait à provoquer ce changement. Nous voulons provoquer une jurisprudence.

 

Je suis catholique, je fréquente l’église protestante et je vais parfois chez les évangéliques. Je suis adepte de la théologie de la libération. Je vais parfois à l’église, mais je vis vraiment ma foi dans l’action sociale, la défense des chances et en étant proche des gens. L’autre système, qui est actuellement étudié à Genève, serait d’enfreindre la loi, d’être condamné et d’aller ensuite devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en disant qu’il y a discrimination. Cette dernière invaliderait la condamnation et la loi devrait être modifiée.

Quelles sont les raisons personnelles de votre engagement pour cette cause ?


Premièrement, c’est parce qu’il y a des discriminations. Les jeunes sans papiers qui ont les notes pour aller au gymnase y vont. Mais ceux qui n’ont pas les notes suffisantes pour y aller ne peuvent pas faire d’apprentissage. De plus, je pense qu’il y a un immense mépris de l’apprentissage dans notre pays. Et voir que l’apprentissage est dénigré aussi dans cette particularité, je ne pouvais pas accepter.

Un autre élément est que nous avons signé la Convention internationale des droits de l’enfant. Soit les conventions internationales ont une valeur, soit elles n’en ont pas. Si nous signons une convention c’est que l’on pense que notre législation peut s’adapter pour la faire respecter. La Suisse est un pays riche, avec une forte tradition humanitaire et avec un chômage que l’on peut tout à fait assumer. Ma conviction est qu’il faut appliquer cette convention qui protège tout enfant jusqu’à 18 ans pour la scolarité et la formation professionnelle.

Troisièmement, on ne peut pas rendre responsable un enfant d’une décision prise par ses parents et du statut juridique de ses parents. C’est pour cela que l’on dit « aucun enfant n’est illégal ». Cela ne doit pas être qu’un cri du cœur, mais ce doit être une affirmation. La foi déplace les montagnes. Et quand on croit à quelque chose, on y va, on affirme ses valeurs.

Comment vivez-vous votre foi au quotidien ?

Je suis catholique, je fréquente l’église protestante et je vais parfois chez les évangéliques. Je suis adepte de la théologie de la libération. Je vais parfois à l’église mais je vis vraiment ma foi dans l’action sociale, la défense des chances et en étant proche des gens. En respectant l’autre dans ce qu’il est, dans ses engagements, dans ses rêves. En se disant que l’on peut s’accompagner, être proche les uns des autres et avoir ce respect qui permet à chacun de grandir comme il le désire. Vivre ma foi c’est, par exemple, être à Noël dans les restaurants du cœur, c’est faire du travail de soutien auprès de personnes qui sont désavantagées.

INFOS

  • Initiée en 2008, l’exposition « Aucun enfant n’est illégal » a pour but d’alerter l’opinion publique sur les épreuves vécues par ces jeunes. Après Zurich et Genève, c’est au tour de la capitale vaudoise d’accueillir, du 14 au 24 avril 2010, les œuvres d’écoliers et de graphistes professionnels qui éclairent la condition des sans papiers.
  • Lausanne: expo à la Fraternité du CSP, Place Arlaud 2.

  • Organisée par le Centre Social Protestant, le Collectif vaudois de soutien aux sans papiers, l’Entraide Protestante Suisse et le Syndicat des services publics – enseignement.