Talibans non-violents: l'espoir d'Hamid Karzaï

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Talibans non-violents: l'espoir d'Hamid Karzaï

16 février 2010
Hamid Karzaï

Le président afghan, Hamid Karzaï, veut tenter la réconciliation avec les Talibans, qui renonceraient à la violence, a-t-il annoncé le 29 janvier dernier lors de la conférence de Londres. Cette annonce est faite au moment où la perspective du transfert aux Afghans de la responsabilité de la sécurité prend corps. Mais elle ne manque pas d’interroger. Existe-t-il des Talibans non violents? On les dit islamistes, fondamentalistes ou terroristes : comment pactiser avec eux? Ces questions appellent un éclairage sur cette mouvance de l’islam politique.


Par Camille Gonzales


Si le projet d’Hamid Karzaï rend perplexe, c’est que le mot Taliban est devenu synonyme de terreur et d’obscurantisme dans les esprits occidentaux qui ne voient le mouvement qu’à travers le prisme d’images télévisées souvent violentes. Mais qui sont-ils vraiment ? Les Talibans sont un phénomène purement afghan, influencé par les traditions puritaines des tribus pachtounes du Sud et par le wahhabisme d’Arabie Saoudite qui a largement financé dans les années 1980 les réseaux d’écoles talibans au Pakistan.

Néanmoins, au-delà de leurs particularismes, ils s’inscrivent selon Olivier Roy, spécialiste de l’islam politique, dans une mutation générale de l’islam fondamentaliste qu’il appelle le « néo-fondamentalisme ».  Ce dernier, décrit Olivier Roy dans L’islam mondialisé (2002) « est obsédé par le retour au “vrai islam”. Il veut épurer les pratiques du croyant de tout ce qui ne relève pas du seul islam, et il définit ainsi un musulman abstrait, dont la pratique serait la même quel que soit l’environnement culturel et social. […] Le néo-fondamentalisme définit moins une culture qu’un code homogène et adaptable à toute société donnée. ». Pour lui, il est un produit de la globalisation et de l’effacement des cultures spécifiques qui, en montrant leur fragilité, ont fait le lit du rêve néo-fondamentaliste d’un islam universel et en dehors de toute culture. L’acharnement des Talibans à détruire les traces des cultures traditionnelles d’Afghanistan est symptomatique de cette idéologie.
La question de la violence La mouvance néo-fondamentaliste a pris racine dans des contextes culturels aussi différents que le monde tribal afghan, le monde occidental (où il séduit des jeunes déracinés ou désocialisés), ou celui des notables saoudiens comme Ben Laden. Aussi, prend-elle des formes variées. Tandis que Ben Laden a lancé le djihad contre l’Occident, les Talibans agissent au niveau national. Leur lutte armée s’inscrit dans le cadre d’une libération nationale face à la présence étrangère ressentie comme une occupation.

Le néo-fondamentalisme reste cependant un avatar de l’islam politique, idéologie née de la confrontation avec l’Occident au XIXème et XXème siècle et qui a pris de l’ampleur dans les années 1980 sous l’influence de divers facteurs socio-économiques. Ailleurs dans le monde musulman, certains mouvements islamistes se sont imposés comme partis et jouent le jeu de la démocratie et des élections (Hezbollah au Liban, Hamas en Palestine). Peut-on en attendre autant des Talibans ?
Un partenaire politique ? En faisant un pas vers eux, Hamid Karzaï espère les réintégrer dans le jeu politique et donc dans une action légale. Son défi est de reprendre le contrôle du pays et d’éviter une nouvelle guerre civile lorsque les forces internationales en seront parties et il est peu probable que cela advienne sans un accord avec les Talibans. Le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, a lui même reconnu que « les Talibans font partie du paysage politique afghan » lors de sa visite à Islamabad le 22 janvier dernier.

Cependant, le projet du président afghan de fournir aux combattants locaux repentis argent et travail risque de nuire à la réalisation de la réintégration politique des chefs du mouvement. Un représentant des insurgés a d’ailleurs déclaré le 18 janvier dernier après un attentat contre le palais présidentiel que les Talibans ne sont pas à vendre. Reste à voir si l’alternative économique séduira le gros des troupes sachant que 70% des rebelles sont pauvres et illettrés.
Un projet réalisable ? Les chefs des insurgés ont fait savoir par l’intermédiaire de leur site internet, alemarah.info, qu’ils refusaient l’offre de réconciliation, la qualifiant de « poudre aux yeux ». Par ailleurs, certains s’interrogent sur l’acceptabilité d’un tel projet. Shoukria Haïgar, présidente de l’association Negar-soutien aux femmes afghanes, s’est fait l’écho à Paris et à Londres d’une résolution adoptée par 200 associations afghanes contre le plan de paix d’Hamid Karzaï. Elle confiait mercredi dernier au quotidien l’Humanité sa crainte d’un retour à la situation qui existait avant 2001 :  « Si on offre aux Talibans de participer au pouvoir, ils fermeront les écoles, enfermeront les femmes chez elles. ».

Comme le déclarait Olivier Guillard, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) le 29 janvier dernier sur le plateau du journal de TV5 Monde, le succès du projet tient surtout au ralliement des échelons inférieurs du mouvement, « talibans économiques » plus qu’idéologiques.

INFOS:

Negar-soutien aux femmes afghanes