Genève: la spiritualité pourrait avoir sa place dans la constitution

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Genève: la spiritualité pourrait avoir sa place dans la constitution

21 janvier 2010
A Genève, l'assemblée constituante a donné son feu vert jeudi à la rédaction d'un préambule à la constitution cantonale. Une référence à la dimension spirituelle de l'être humain pourrait y être introduite. Une révolution dans l'un des trois cantons laïques de Suisse.

La constituante, c'est l'occasion de mieux articuler le rapport entre les institutions religieuses et l'Etat, a expliqué à ProtestInfo Charlotte Kuffer, la présidente de l'Eglise protestante genevoise (EPG). La loi de 1907 définit une abstention. Il s'agit désormais d'instaurer un pont qui permet le dialogue.

Avec le vote de jeudi, les Eglises enregistrent peut-être une première victoire d'étape alors même qu'elles viennent de perdre deux théologiens à la constituante. Olivier Fatio, ancien professeur à l’Université de Genève et initiateur du Musée International de la Réforme, a invoqué des raisons de santé. De son côté, le professeur de théologie Michel Grandjean a dû constater que la charge ne lui permet plus de mener de front son engagement dans la constituante et ses recherches à l'Université de Genève. La Faculté de théologie lui a rappelé les devoirs qu'implique un poste à 100%.

Le travail va commencer

Après le vote de jeudi, la commission « 1 », présidée par Maurice Gardiol, va pouvoir se mettre au travail. Les Eglises souhaiteraient voir introduite la reconnaissance de la « dimension spirituelle (...) de la vie humaine (...) et du rôle des Eglises et des communautés religieuses à leur participation à l'établissement d'une spiritualité individuelle, à l'intégration et à la transmission de valeurs favorisant le 'vivre ensemble '» .

Cette proposition de préambule, formulée par le groupe de travail de l'EPG lorgne du côté de l'article introduit dans la constitution vaudoise, entrée en vigueur en 2003, et qui reconnaît également la dimension spirituelle de l'homme (voir note).

Si les Eglises cherchent à être reconnues comme des associations d'utilité publique - ce qui leur permettrait d'entrer en partenariat avec l'Etat et d'obtenir pour telle ou telle mission une subvention -, cette recherche de reconnaissance ne remet pas en question le principe de laïcité genevoise. « La laïcité va dans le sens de l'histoire », estime Mme Kuffer.

Où trouver des modèles?

Les systèmes en vigueur dans les autres cantons suisses ou dans le nord de l'Europe ne font-ils pas rêver Mme Kuffer ? C'est-à-dire une Eglise, qui assume une mission sociale pour l'Etat, et qui est financée par lui via les impôts, quelle que soit la proportion de personnes fréquentant les Eglises ?

« Chaque système a ses forces et ses faiblesses », estime-t-elle. « Les Eglises qui ne peuvent s'exprimer que dans l'action sociale en faisant l'impasse sur la spiritualité souffrent également », a poursuivi la Genevoise.

Réactions sur la laïcité

Depuis la votation sur les minarets, plusieurs voix s'élèvent, chez les jeunes socialistes et au parti socialiste vaudois notamment, pour instaurer la laïcité en Suisse à la place de l'actuelle neutralité confessionnelle. Mme Kuffer estime que limiter le religieux à la sphère privée est une position à très courte vue.

Le problème de la séparation de l'Etat et de l'Eglise est une question du XIXe siècle, estime pour sa part le sociologue Roland Campiche. Au XXIe siècle, la question à débattre en Suisse n'est pas celle de la séparation, mais celle de la régulation par l'Etat de la pluralité de religieuse.

A Genève, il s'agirait de passer d'une laïcité d'exclusion à une laïcité de reconnaissance, selon un concept du sociologue français Jean-Paul Willaime, estime Michel Grandjean. « Et cette reconnaissance devrait s'étendre à d'autres communautés religieuses que les trois Eglises actuellement reconnues – protestante, catholique, catholique-chrétien ».

Pour un article dans la constitution fédérale

De façon plus large, la compétence exclusivement cantonale en matière de reconnaissance des Eglises chrétiennes et des autres communautés religieuses présente plusieurs inconvénients, écrit René Pahud de Mortanges dans l'annuaire suisse de droit ecclésial. Le premier d'entre eux est la diversité des régimes cantonaux en la matière.

De plus, la Confédération se charge aussi de tâches étatiques, où de fait elle ne peut se dispenser du contact avec les Eglises officielles et les autres communautés religieuses. Il suffit de penser à la coopération au développement, aux lieux d'accueil des requérants, à la prise en charge des requérants, au suicide assisté pour ne citer que quelques exemples. La compétence exclusive des cantons en droit ecclésiastique (art.72. 1 Cst.) ne colle donc plus avec la pratique actuelle.

Proposition oubliée

Or cette proposition d'introduire un article sur les religions dans la constitution fédérale dans le but de faciliter la reconnaissance des différentes communautés religieuses, comme une réponse au vote anti-minarets, n'a guère été remise sur le devant de la scène par le monde politique. L'appel à la laïcité à davantage été brandi dans les médias.

« Ne reconnaître que l'aspect privé de la religion en l'amputant de sa dimension sociale rappelle à la limite certains idéaux totalitaires, a souligné Michel Grandjean. C'est négliger la vie de la communauté, la diaconie, l'assistance aux démunis. C'est oublier aussi que le religieux risquerait de ressortir dans la sphère publique sous forme d'intégrisme et de fanatisme. »

L'exception genevoise

En matière d'enseignement du fait religieux, Genève devrait en revanche rester encore pendant un certain temps le seul canton suisse à ne pas aborder cette matière en salle de classe. Cette question n'est pas de rang constitutionnel, estiment les constituants. Mais les débats vont se poursuivre au niveau du Département de l'instruction publique.

Enfin, la destination des édifices religieux devrait pouvoir être modifiée, espèrent les protestants, quand leur maintien économique n'est plus possible. La Cathédrale St-Pierre et d'autres bâtiments ne seraient pas concernés par cet article.

Tania Buri


Art 169 de la Constitution vaudoise:

1. L’Etat tient compte de la dimension spirituelle de la personne hu-
maine.
2. Il prend en considération la contribution des Eglises et communautés
religieuses au lien social et à la transmission de valeurs fondamenta-
les.

Lien:

Travaux de la constituante genevoiseLectures:

  • « Etat fédéral et communautés religieuses. Réflexions et propositions pour un droit en matière de religion ». Annuaire suisse de droit ecclésial, Cahier 4, 2003, Editions Peter Lang, 212 pages.
  • « L'Etat sans confession. La laïcité à genève (1907) et dans les contextes suisse et français. » Michel Grandjean et Sarah Scholl. Labor et fides, 2010, 250 pages.