Un bistrot dans un temple genevoisle pari réussi d'André Normandin

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Un bistrot dans un temple genevoisle pari réussi d'André Normandin

30 mars 2000
Les jeunes ne viennent plus à l'église? Qu'à cela ne tienne, elle ira à eux! André Normandin, ancien voyou québécois devenu pasteur, n'a pas hésité à transformer la nef arrière du temple de Plainpalais à Genève en café
Ses méthodes non conformistes ont séduit les 15-25 ans qui entrent dans le sanctuaire pour boire une bière et refaire le monde.Des yeux myosotis qui pétillent de malice, un embonpoint de caïd embourgeoisé, une jovialité communicative et un petit accent de la belle province, André Normandin débite son passé de loubard avec une déconcertante décontraction et un professionnalisme certain. Il a fait de son histoire de petite frappe, qu'on dirait tirée d'un scénario de série noire, son fond de commerce.

Avant de rencontrer Dieu, de se convertir et de se ranger, il a vécu l'insoutenable: une mère maniaco-dépressive et toxicomane qui a fini par se suicider, un père chauffeur de taxi, toujours absent, placement par le "Bien-être social" canadien dans dix-sept familles d'accueil différentes, puis à l'orphelinat catholique où il subit des violences sexuelles. A douze ans, l'engrenage de la violence commence; de maison de redressement en centre de détention pour jeunes, il apprend à boire, voler, dealer, s'initie à l'art du brigandage et de l'arnaque.

Braqueur de banques, videur dans un bar de Floride, maquereau, il finit par se faire arrêter pour une affaire grave où on l'accuse d'avoir voulu écraser des Portoricains. Il a vingt-trois ans. Contre toute attente, André Normandin est acquitté.

§Tombé en amour avec DieuPendant son incarcération, il supplie Dieu de lui faire un signe. Sa libération en est un, il en reconnaîtra d'autres, notamment dans la volonté d'un homme d'affaires chrétien de l'engager malgré un CV tellement trafiqué qu'il sent le faux à plein nez.

André Normandin tombe en amour avec Dieu. "Si Dieu est assez fou pour aimer quelqu'un comme moi, moi aussi je serai assez fou pour l'aimer." Il met la cinquième vitesse, fait des études de théologie universitaires, se voit consacré pasteur par les Eglises baptistes canadiennes avant même d'avoir terminé sa licence, retourne dans les milieux d'où il vient pour aider alcooliques, marginaux, drogués, prostituées, sans abri. Comme "missionnaire au centre ville", il touche quelque dix mille jeunes de rue. Son association prend de l'ampleur, il en devient le PDG dans un bureau de cadre au dernier étage d'un building. Pas vraiment son genre. Il traverse une période de crise, démissionne et prend une année sabbatique.

C'est à ce moment de sa vie qu'intervient Roland Benz, pasteur genevois en charge de l'Animation Jeunesse en Eglise (AJEG). Les deux hommes se sont déjà rencontrés à plusieurs reprises à l'occasion des tournées de conférences européennes du Québécois.

§Arrêter l'hémorragieLe ministre genevois au parcours atypique, ancien professeur de physique et doyen au Collège de Staël sollicite sa collaboration pour essayer de faire revenir toute une génération de jeunes qui a déserté l'Eglise. Même le 20 % de catéchumènes inscrits prend le large, à croire que le certificat de confirmation est un diplôme de sortie de l'Eglise. Il faut arrêter l'hémorragie. Normandin est prêt à relever le défi. Ensemble les deux hommes ouvrent le Back Nef Café dans le temple de Plainpalais. Les jeunes affluent les soirs d'ouverture, le mercredi et le vendredi. Ils discutent des thèmes de la soirée, dépression, pardon, sexualité, drogue, sida, pauvreté avec des invités, écoutent de la musique, organisent des concerts. Certains se risquent au culte qui leur est destiné le dimanche soir.

Une soixantaine d'entre eux montent une comédie musicale "Exode", qui est pour eux une expérience marquante. Des camps et des voyages sont organisés. L'expérience de Normandin tient la route.

Le remuant Québécois a su se faire admettre non seulement des jeunes mais aussi des pasteurs genevois et des réformés du bout du lac, qui du coup, se remettent à fréquenter le temple de Plainpalais, côté culte, là où les bancs succèdent aux tables de bistrot