Dieu dans la peau: les tatouages religieux ont la cote

CC0 Engin Akyurt / Pixabay
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CC0 Engin Akyurt / Pixabay

Dieu dans la peau: les tatouages religieux ont la cote

Vera Rüttimann/kath.ch / traduction et adaptation Maurice Page/cath.ch
8 octobre 2018
Croix, portraits de Jésus, anges et couronnes d’épines. De plus en plus de personnes portent sur leur peau de tels motifs religieux. Parcours dans le monde du tatouage, sur la piste de ce phénomène.

Un bourdonnement se fait entendre dans l’atelier de Dan Tschanz, installé à la Zentralstrasse 122 à Wettingen, en Argovie. Un homme est allongé sur une table. De fines aiguilles et de l’encre liquide gravent un tatouage sur sa poitrine.

Dan Tschanz, qui réalise les souhaits de ses clients dans son propre studio depuis plus de 20 ans, a un carnet de commandes complet. Le tatouage est en plein essor. L’homme aux bras tatoués l’a encore constaté lors de la dernière «Convention Tattoo», cet été à Berne.

Une demande en augmentation

Les nombreux motifs de Jésus, Marie, les anges et les croix sont faciles à identifier dans son atelier. Dan Tschanz s’est spécialisé dans les tatouages à motifs religieux. Sa clientèle s’agrandit, car les tatouages de ce genre sont très demandés.

Des gens de tous horizons qui veulent avoir un ange, une croix ou une madone gravés sur la peau viennent chez Dan Tschanz. «Parmi eux, il y a des banquiers, des prêtres ou des enseignants. Les tatouages ne sont plus seulement réservés aux rockers ou aux personnes en marge de la société, comme c’était le cas auparavant.»

Mais pourquoi est-il si attrayant aujourd’hui de passer plusieurs heures sous l’aiguille pour avoir de grandes images, souvent multicolores gravées sur le corps? Le chercheur allemand Christoph Türcke avance une hypothèse. Dans une société chargée d’émotions, de plus en plus de gens vivent selon la maxime: «Tu dois te mettre en scène toi-même». La vague des «selfies» et des «influencer» a encore renforcé ce développement.

Protection, accompagnement et profession de foi

Dans le cadre de son travail de master à l’Université de Lucerne en 2017, Michael Goldberg a également analysé les raisons pour lesquelles les gens se font tatouer. «Le tatouage rappelle souvent aux gens des événements importants dans leur histoire de vie comme la mort d’un parent, la naissance d’un enfant ou leur mariage.»

Le tatouage peut aussi servir à surmonter les crises. Il offre également une protection et un accompagnement dans la vie quotidienne. Il est frappant de constater que pour beaucoup de gens, les déclarations de leurs tatouages ont une valeur éternelle. Enfin, les tatouages à motifs religieux tels que les croix signifient pour beaucoup la confession de leur propre foi. Mais pas nécessairement la reconnaissance de l’Église-institution.

Rite de passage

Passer sous l’aiguille du tatoueur demande aussi du courage. Mais l’effort semble récompensé. Pour Markus Anscar Friedrich, il faut atteindre quelque chose d’extraordinaire par le tatouage, comme il l’a découvert lors de conversations avec des personnes tatouées.

Dans un article sur la religion et les tatouages pour le Magazin für Theologie und Ästhetik, il relève que «la personne à tatouer franchit le seuil du studio de tatouage, mais elle franchit également un seuil intérieur. Elle décide, prépare et fait un pas vers une image corporelle modifiée et irréversible». Le tatouage est ainsi un rite de passage.

Stigmatisation et marques d’identification

Dans le studio de Dan Tschanz, on trouve également de la littérature spécialisée et l’on peut apprendre nombre d’éléments intéressants sur les origines des tatouages. Le tatoueur, qui a appris son métier en Allemagne de l’Est au milieu des années 1990, explique: «Tatoo» vient de «Tatau», le mot tahitien pour «blessure».

Selon les époques, les tatouages et leur signification ont été interprétés différemment. Pour les premiers chrétiens, le tatouage était considéré comme un signe distinctif. Ils portaient les initiales du Christ sous la forme d’un «X» ou d’un «I.N.», ou encore un poisson, une croix ou un agneau sur leur front. D’autre part, les chrétiens qui avaient apostasié étaient marqués et stigmatisés par des tatouages.

La Bible dit non aux tatouages

La relation entre la religion chrétienne et la culture des tatouages est complexe et contradictoire. Pendant longtemps, les signes corporels ont été controversés et rejetés. Dans l’Ancien Testament, le Lévitique précise parmi les commandements rituels, «pour un mort, vous ne vous ferez pas d’incisions sur le corps. Vous ne vous ferez pas faire de tatouage.» (Lévitique 19:28)

On peut supposer cependant que l’apôtre Paul était tatoué. Dans sa lettre aux Galates, il écrit: «Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus.» (Galates 6:17). Certains pensent qu’au-delà de l’aspect symbolique, on peut aussi l’interpréter au sens propre. Mais en 787, le pape Adrien, reprenant le précepte biblique, interdit toute pratique du tatouage, à ses yeux païenne, à l’exclusion des motifs religieux.

Une religion qui «vous envahit la peau»

Pourtant la coutume a prévalu notamment auprès des pèlerins qui se faisaient tatouer après avoir atteint leur destination. Cet usage a survécu jusqu’à nos jours dans des lieux comme Bethléem. On peut ainsi se rendre au studio de tatouage de Walid Ajasch. Ce Palestinien catholique s’est fait un nom en tant que tatoueur de thèmes picturaux chrétiens et de versets bibliques. Les chrétiens coptes ont une croix tatouée sur la main ou l’avant-bras.

Déclarations ambiguës

Les significations différentes du tatouage sont illustrées par la collection de photos de détenus tatoués dans les prisons soviétiques d’Arkady Bronnikov, spécialiste russe de l’interprétation du tatouage. Les prisonniers portent des tatouages avec des motifs de Jésus ou de la Madone. Mais dans ce contexte, ces motifs n’ont rien à voir avec la religion ou la croyance. Selon l’auteur, le motif de la Madone à l’enfant fait référence à la loyauté à un clan. La croix elle-même prend ici une signification différente. Celui qui porte des tatouages de croix sur ses genoux veut exprimer qu’il ne s’incline devant personne.

Foi, amour et espérance

Pour Cornelia S, l’une des clientes de Dan Tschanz, l’ancre, le cœur et la croix tatoués sur son omoplate droite portent un message clair: «Ils représentent la foi, l’amour et l’espoir». L’étudiante quitte certainement le studio dans un état mental différent de celui qu’elle avait avant de franchir le seuil de la porte. 

(cath.ch