Pourquoi autant de personnes sans affiliation religieuse croient en la vie après la mort?
Depuis qu’il s’est distancié du christianisme, le blogueur athée Martin Hughes ne regrette ni Dieu ni le Diable, par contre le paradis lui manque. «J’aimerais qu’il existe», a-t-il écrit sur son blog précisant que sa position n’était probablement pas «correcte d’un point de vue athée». Dans sa version du paradis, Martin Hughes «comprendrait tout». Il y aurait «beaucoup de bonheur comme lorsque Maman faisait sa tarte aux patates douces pour Thanksgiving».
Martin Hughes n’est sûrement pas le seul dans son désir de continuer à croire à une version plus laïque du paradis. Selon une récente analyse des données datant de 1973 à 2014, publiée dans la revue Sage Open, la tendance générale au cours des dernières décennies se distancie clairement du religieux. Cependant, l’indicateur qui semble renverser la tendance est la croyance en l’au-delà, pour laquelle une légère augmentation a été enregistrée au cours des dernières années. Une étude de 2013 réalisée par l’Institut conservateur Austin Christian pour l’étude de la famille et de la culture a constaté que 32% du groupe qui comprenait les personnes athées, agnostiques et sans affiliation religieuse prétendaient croire en la vie après la mort. N’est-ce pas contradictoire?
Les Etats-Unis ne sont pas le premier endroit où ce genre de phénomène a été documenté. Le journal britannique, the Daily Mail, a demandé à plusieurs éminents penseurs comment ils expliquaient l’augmentation des athées parallèlement à l’augmentation du nombre de personnes qui croient à la vie après la mort. L’égoïsme, l’incrédulité face à la finalité de la mort, le désir de croire en de multiples possibilités et l’espoir pour ceux qui sont dans la misère matérielle sont plusieurs explications à ce phénomène.
Mais quelqu’un qui croit en la vie après la mort, est-il encore un athée? Selon Tom Flynn, rédacteur en chef du magazine Free Inquiry et de la New Encyclopedia of unbelief, la réponse dépend de la définition de l’athéisme. «Strictement, un ‘athée’ ne croit pas à la divinité traditionnelle imaginée par les religions occidentales. Un tel athée pourrait donc croire en un au-delà surnaturel qui ne serait pas dirigé par un Dieu. Certaines conceptions bouddhistes du karma et de la réincarnation sont athées dans ce sens». Tom Flynn a ajouté qu’une définition plus large dirait qu’un athée n’a aucune croyance en des phénomènes surnaturels, ce qui exclut donc la croyance en une vie après la mort.
Pourtant, le lien entre le fait de croire à la vie après la mort et le dogme religieux peut être fragile et pas largement assumé. Une nouvelle étude australienne rassemble les résultats d'un travail en profondeur avec un groupe de personnes d’origines ethnique et religieuse variées. Andrew Singleton, sociologue des religions à l’Université Deakin de Melbourne, a mené des entrevues avec 52 Australiens âgés de 18 à 85 ans. Et les résultats, publiés dans la revue trimestrielle Mortality, suggèrent que «les croyances sur l’au-delà sont variées, individualistes, et avec peu ou pas de références à l’enseignement religieux traditionnel».
Contrairement aux sondages de masse qui tendent à poser la question «croyez-vous en la vie après la mort?» avec la possibilité de répondre uniquement par «oui» ou «non», Andrew Singleton a cherché à explorer le contenu et la spécificité des croyances des personnes. Il a découvert que les gens avaient construit leurs croyances sans être fidèles aux religions traditionnelles, par contre ils étaient influencés par la société en général. Quatre catégories de croyances ont émergé:
1. «La vie continue au Ciel»
«La vie continue au paradis» est le point de vue le plus populaire, 20 personnes interrogées ont adhéré à cette vision des choses. Par contre, ces personnes sont divisées entre celles qui ont un point de vue théocentrique (une solitude éternelle en compagnie de Dieu seul) et anthropocentrique (réunis avec ses amis et sa famille), selon les travaux des chercheurs Colleen McDannell et Bernhard Lang. Tous les chrétiens qui ont participé à l’étude –16 personnes– ont exprimé une vision théocentrique du paradis. Andrew Singleton a remarqué que les participants plus âgés étaient plus expansifs, mais pas plus sûrs dans leur croyance ni théologiquement plus précis. De plus, pour les personnes de tous âges, le paradis était l’objectif principal. «Seulement quelques évangéliques et pentecôtistes très engagés ont affirmé croire à l’enfer».
Pour Martin Hughes, qui a été élevé dans la tradition chrétienne fondamentaliste, c’était exactement cette vision traditionnelle de l’enfer qui a participé au fait qu’il quitte le christianisme. Dans une interview, il a dit que c’était essentiellement à cause de cela: «Je n’étais pas à l’aise avec un Dieu qui pensait que certaines personnes méritaient l’enfer». Mais a-t-il cru à cette vision de choses? «J’ai essayé, mais je ne pouvais pas, je n’ai trouvé aucune preuve».
Quatre autres personnes pas chrétiennes croyaient également en une version anthropocentrique du paradis, pas très différente de la version de Martin Hughes. Les thèmes religieux sont peu ou pas présents: «Dieu est présent, mais pas au centre». Andrew Singleton attribue la popularisation de ce point de vue au spiritualisme –un mouvement religieux qui a vu le jour aux Etats-Unis à partir du XIXe siècle et dont les membres croient que les personnes en vie peuvent communiquer avec les esprits des morts–. Seules les versions du paradis des personnes avec un point de vue théocentrique et anthropocentrique ont été formées à partir de la religion. Tous les autres participants ont construit leurs croyances en dehors de ce cadre-là.
2. «Ça continue…»
Cinq participants ont eu des croyances définies par «ça continue… ». Ces personnes ne sont pas religieuses et n’ont pas été élevées dans un milieu religieux. Elles ne pensent pas que leur conscience actuelle va vivre après la mort, mais elles croient «qu’un aspect de leur être va continuer à vivre». Par exemple, un participant a avoué qu’il avait un système de croyance sur l’au-delà assez confus: «Moi en tant qu’individu je ne suis pas consciemment impliqué dans l’état post-mortem, mais mon existence l’est. L’existence fait qu’on ne disparaît jamais, qu’on fait partie d’un grand tout et qu’on en ait conscience ou pas, cela n’a pas d’importance».
3. La réincarnation
Neuf participants croient à la réincarnation, parfois dans un autre humain, et parfois dans d’autres espèces. Certains ont été influencés par des enseignements bouddhistes ou hindouistes, sans toutefois faire partie de ce genre de groupes religieux. Ces personnes se considèrent généralement comme spirituelles.
Alors qu’Andrew Singleton a remarqué une diversité des points de vue sur l’au-delà, personne n’a de certitude. Beaucoup de participants n’avaient jamais vraiment discuté de tout cela. Pour la plupart, ils étaient «brumeux et équivoques» sur leurs opinions religieuses. Andrew Singleton n’a pas rencontré de personnes qui avaient un modèle du paradis typiquement religieux.
Mais si ce n’est pas de l’enseignement religieux, d’où viennent les perceptions des gens? Certains ont été élevés dans des familles chrétiennes. Ces derniers étaient également convaincus d’avoir vu des fantômes ou communiqué avec des esprits grâce à des médiums. Selon Andrew Singleton, cela est dû à la culture moderne qui permet de choisir l’un ou l’autre aspect des religions et des philosophies: «J’ai découvert que c’était très important pour les gens de pouvoir formuler leurs propres opinions, un comportement typique de l’individualisme religieux qui caractérise la société occidentale contemporaine.
4. La mort, c’est la fin
Bien sûr, tout le monde ne croit pas à la vie après la mort. Les 16 autres personnes interrogées (deux participants n’ont pas souhaité parler complètement de leur point de vue) étaient persuadées que la mort était la fin. Andrew Singleton a remarqué que ces personnes se trouvaient complètement «à l’aise» avec leur conviction et qu’elles n’avaient pas particulièrement envie de spéculer sur ce qu’il pourrait y avoir après la vie. Il a demandé a un participant s’il «espérait secrètement» qu’il y ait une vie après la mort, mais contrairement à Martin Hughes, il a répondu «non».
Lorsque les premiers participants au sondage ont été interviewés en 1973, les Etats-Unis étaient un pays religieusement homogène. A cette époque, les croyances sur l’au-delà étaient synonymes de conception chrétienne sur le paradis et l’enfer. Dans la société d’aujourd’hui, nettement plus diversifiée, cela ne suffit plus de simplement demander aux gens s’ils croient en l’au-delà ou pas.